Les Bienveillantes de Jonathan Littell

Bienveillantes moi« Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s’est passé ». Ainsi commence Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Une interpellation ciblée à souhait ayant « fait mouche » semblerait-il. Ce roman a créé l’événement de la rentrée littéraire 2006 en France à sa publication. La logorrhée du narrateur, Max Aue, un officier nazi, s’étale sur neuf cent pages. Par ces deux lettres « ça » il désigne la Seconde Guerre mondiale, l’extermination des Juifs d’Europe, la Shoah, la Solution finale. « […] il s’est passé beaucoup de choses » poursuit-il « Et puis ça vous concerne : vous verrez bien que ça vous concerne ». La motivation à la réalisation du présent ouvrage a été inspirée par un devoir de savoir.

Selon Jonathan Littell, la portée des Bienveillantes dépasse le seul génocide des Juifs pour revêtir une dimension plus universelle. Par ailleurs, le roman a été souvent comparé à de grandes œuvres russes, notamment à Guerre et Paix de Tolstoï, à Vie et destin de Vassili Grossman. Le titre, Les Bienveillantes, évoque l’Orestie d’Eschyle dans laquelle les Érinyes furieuses se transforment finalement en Euménides apaisées : la réécriture du mythe introduit la proximité incestueuse de la sœur, prénommée de façon révélatrice Una et qui représente l’image de la femme que Max ne pourra pas dépasser, son orientation sexuelle sera, en effet, une homosexualité dégradée. Outre Eschylle, Jonathan Littell reconnaît sa dette à d’autres tragiques grecs comme Sophocle et son Électre, mais aussi Euripide, dont l’Oreste est rendu fou par les Érinyes.

Les angles d’approche dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell sont aussi nombreux que variés sans prétendre à l’exhaustivité. Ce recueil n’est pas un jugement de l’œuvre, ni une interrogation sur sa recevabilité, pas plus qu’une assertion sur les limites de sa légitimité en tant que roman ou une justification, mais ce recueil est novateur puisque le premier à se concentrer sur le texte des Bienveillantes de Jonathan Littell. Jusqu’à présent la discussion concernant ce roman a largement été déterminée par les études monographiques d’un auteur dont l’examen littéraire s’est avéré monologique. Le présent recueil offre un éventail plus riche d’angle d’approches, sociologiques, culturelles, historiques, poético-rhétoriques, interdisciplinaire, intertextuelles, sans exclure l’approche freudienne. Ainsi les analyses ont-elles, par exemple, accentué les personnages dont le narrateur, les personnages historiques, les personnages fictifs avec la famille du narrateur – sœur jumelle et parents, beau-père – et tous les autres personnages dont fourmille le roman. Mais aussi, les aspects formels, comme le point de vue du narrateur, le style, l’architecture du roman, son esthétique et les influences littéraires voire la réécriture des mythes. Et encore, les thèmes tel le  parricide, l’homosexualité – qui ne va pas sans poser de problèmes pour un nazi qui veut faire carrière – avec, bien entendu, l’antisémitisme et la Shoah représentés, la « solution finale » que le narrateur juge inutile. L’idéologie impliquée se devait d’être interrogée également. En effet, Aue tente de relativiser la théorie selon laquelle l’extermination des Juifs serait au cœur de l’idéologie nazie en affirmant l’antisémitisme comme un phénomène ancien. Un autre thème crucial du roman est la manière dont le massacre des Juifs est posé en tant que « problème à résoudre », problème de statistique et problème de comptabilité. Ce qui amène la question entre le Bien et le Mal et la banalisation de ce dernier, l’Allemagne nazie durant la seconde Guerre mondiale. La réception de l’œuvre et les raisons de son succès qui lui valu plusieurs grands prix littéraires, traduction, parution en « Poche »  a été abordée ainsi que les éléments du grotesque que certains n’ont pas manqué de remarquer.

 Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Études réunies par Murielle Lucie Clément, Londres, Openbook Publishers, 2010

 

Table des matières

 

* Murielle Lucie Clément, Introduction

* Thierry Laurent, Paris IV, « La réception des  Bienveillantes de Jonathan Littell

dans les milieux intellectuels français en 2006 »

* Wladimir Troubetzkoy, Université de Versailles, « Frères humains,… », Les Bienveillantes, une histoire de familles »

* Julie Delorme, Université d’Ottawa, « Les Bienveillantes de Jonathan Littell : une parole qui donne la voix au bourreau »

* Antoine Jurga, Université du Mont-Houy, Valenciennes, “La dentellerie du réel »

* Bruno Viard, Université de Provence, « Les silences des Bienveillantes »

* Denis Briand, Université de Rennes, « Max aux enfers. Esquisses « topographiques »… »

* Dominique Bocage-Lefebvre, Université de Caen, « Comment autrui et le monde révèlent le narrateur ou le rôle des autres personnages et de l’environnement dans la connaissance du narrateur »

* Edith Perry, Rêves et fantasmes dans Les Bienveillantes

* Eric Levéel, University of Stellenbosch, « Maximilien Aue : une homosexualité de rigueur ? »

* J. Marina Davies, New York University, « La Shoah en flânant ? »

* Patrick Imbaud, Paris IV, « À propos des « Bienveillantes » (Jonathan Littell) Variations autour de la perversion »

* Pauline de Tholozany, Brown University,  « Le « curieux exercice » : voyeurisme et conscience du meurtre dans Les Bienveillantes »

* Peter Tame, Queen’s University, Belfast, « Lieux réels et lieux imaginaires dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell »

* Serge Zenkine, rggu-ivgi, Moscou,  « Un langage impossible »

* Stéphane Roussel, Verneuil-sur-Avre,  « L’homosexualité dans Les Bienveillantes : crise de l’identité, crise de l’Histoire »

* Yolanda Viñas del Palacio, Université de Salamanca, « Max Aue manufacture de la dentelle. La lecture dans Les Bienveillantes »

* Youssef Ferdjani, Sorbonne nouvelle, « Les Bienveillantes de Jonathan Littell : Le National-socialisme comme mal métaphysique »

* Yves Boisseleau, « Les Bienveillantes : une position ironique »

* Helena Duffy, University of New England, « Max Aue, un nazi peu typique ? L’abjection comme moteur de la Shoah : une lecture kristevienne des Bienveillantes de Jonathan Littell »

* Sabine van Wesemael, Unversité d’Amsterdam, « À propos des corps liquides »

* Bibliographie

* Index

* Table des matières