Valéry Afanassiev

“Valéry Afanassiev”, dans Passages et Ancrages en France. Dictionnaire des écrivains migrants de langue française (1981-2011), Sous la direction d’Ursula Mathis-Moser et Birgit Mertz-Baumgartner, Paris, Honoré Champion, 2012

 

Pianiste russe extraordinairement talentueux, a étudié le piano au conservatoire de Moscou avec Émil Gilels et Yakov Zak. Remporte le concours Bach pour piano de Leipzig (1968), lauréat du concours Elisabeth à Bruxelles (1972). Lors d’une tournée en Belgique, demande l’asile politique et prend la nationalité belge. En 1974, déménage à Versailles. Donne de nombreux concerts, avec un répertoire axé sur les Romantiques; se consacre aussi à l’écriture des textes accompagnant ses enregistrements. Auteur, en outre, de plusieurs romans dont quatre publiés en France à ce jour, de cycles de poèmes, de recueils de nouvelles, d’essais sur la musique et de deux pièces de théâtre. Commença par écrire en russe, puis en anglais et en français. Dans ses romans, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le rôle de la musique est de moindre importance que celui de l’alchimie ou de la kabbale.

Avec un essai sur la musique, Le Silence des sphères, et quatre romans publiés en français – dont La Chute de Babylone sous le pseudonyme de Valéry Luria –, V. A. se fait remarquer en tant qu’écrivain polyvalent. Dans son roman, Disparition, l’auteur excelle dans l’art d’égrener avec virtuosité les thèmes de son imaginaire. Subissant les conséquences du passé, le visionnaire Vladimir, assis en face de son miroir, accomplit un voyage astral qui l’entraîne vers le futur. Alors qu’il endure les souffrances de celui qui tente de reconstituer son histoire, l’auteur se joue de toutes  les strates du documentaire, de la poétique, de la psychologie, de la parapsychologie, de la psychanalyse, du symbolique, et de la mythologie pour dépeindre la doctrine de l’Éternel retour. Son style polyphonique au sens fort du terme, avec lequel il renouera pour La Galerie des glaces, le place dans la lignée du Dostoïevski du Sous-sol, de Nabokov dans La Défense Loujine ou de Hedayat dans La Chouette aveugle. Le lecteur franchit ainsi le pont  entre réel et fiction, entraîné dans le dédale fantasmatique des perspectives changeantes. « Ni confession, ni autobiographique », affirme A. en quatrième de couverture. Véritable « monologue de la folie » avec peu de faits réels, confie-t-il plus loin. Ancré dans le thème de la mémoire et des peurs ancestrales de l’homme – la mort –, il esquisse la fragilité de l’existence humaine aux prises avec la recherche identitaire face à la facilité du meurtre. C’est probablement dans Lettres sonores que la douleur de l’émigration transparaît de façon particulièrement nette et sans être enfouie sous des métaphores. Le narrateur écoute les cassettes audio enregistrées à plusieurs milliers de kilomètres de là par son ami resté en Russie. A. choisit la description minutieuse : les paroles comme le silence assourdi par les mille et un bruits du quotidien, tintement de cuillère contre la tasse alors que se remue le sucre dans le thé, traînement de pantoufle sur le plancher : un roman qui s’entend plus qu’il ne se lit. A travers cette écoute-lecture, qui n’est qu’un long monologue structuré par les différentes cassettes, A. exprime le tragique de ceux que l’exil et l’émigration ont irrémédiablement séparés. Symboles des êtres séparés, les paragraphes, plus ou moins longs, sont sous-tendus par un leitmotiv sous forme de mots en italiques (« silence », « long silence », « déclic ») ou, parfois, sous forme d’une phrase : « Le téléphone sonne ». Dans ce roman, A. met en scène la solitude de celui qui se confie au magnétophone – symbole de l’absence, mais aussi symbole de l’indéfectible amitié –, qui se donne l’illusion de la présence de son ami lui faisant partager son écoute de la musique. Double écoute pour le destinataire : écoute de la cassette où ‘parle’ le « scriptaire » de la bande magnétique, et écoute de la musique enregistrée et, en même temps, écoutée par ce dernier. Une phrase entre deux paragraphes le souligne : « Déclic. On entend toujours le deuxième mouvement de Schubert. » (159) Car le narrateur est celui qui a reçu les cassettes, et la narration est la description de son écoute. A. écrit ce roman alors qu’il vit déjà en Occident : « C’est un roman à clefs », dit-il en quatrième de couverture « mais ces clefs ouvrent les portes derrière lesquelles se tiennent Montaigne et Sénancour, Tchouang-tseu et Massenet ; et des mots qui n’ont rien à voir avec les mots de Sartre. Derrière ces portes, il y a un homme seul qui parle à un magnétophone ». Et de conclure : « La solitude ne sera jamais démodée. »