« Sur les traces de Verlaine à Amsterdam », dans Revue Verlaine, n° 10, pp. 222-228
Pour, sur les traces de Verlaine séjourner en la cité d’Amsterdam, celui qui, de nos jours, voudrait entreprendre le voyage, une fois arrivé à la gare centrale, devrait marcher jusqu’à la place du Dam, s’il avait l’intention de prendre un fiacre pour rejoindre la maison où le poète logea. Ou alors, d’une manière correspondant mieux à nos mœurs actuelles, il pourrait monter dans un taxi qui le conduirait au seuil de la porte du numéro quatre-vingt-deux de l’Oosterparkstraat. Si toutefois il se décidait à se laisser dépayser et de profiter de l’effet de surprise et de léger déroutement qui assaille tout un chacun au premier contact d’une ville nouvelle pour lui, il s’installerait dans le tram numéro neuf, qui longerait la société où Verlaine donna ses conférences ainsi que le jardin zoologique et l’incipit frontal remarqué par le poète. Bien entend, il pourrait aussi effectuer une combinaison de ces possibilités et prier un ami habitant sur place, d’affréter un fiacre et de l’attendre sur le parvis de la gare ou en proximité pour, accompagné du tintement musical des sabots sur l’asphalte, faire une entrée à la Verlaine, dans la ville septentrionale des canaux. Notre voyageur devrait se préparer à constater de nombreux changements depuis la visite du poète qui de Paris à Bruxelles, puis d’Anvers à Rotterdam, poursuivit sa route par chemin de fer et arriva à La Haye, surpris que les Hollandais l’appelle Den Haag, et rallia l’atelier de Witsen à l’orée du Oosterpark où l’attendait Isaac Israël, le maître de céans étant absent. Les baies de la façade ont été rénovées mais, l’arrière du bâtiment est resté conforme et donne encore sur cette rangée de maisons avec ses cours proprettes plantées d’arbres. Visibles de la chambre où a dormi Verlaine, notre voyageur en pèlerinage pourrait les admirer telles que le poète les a dépeintes alors qu’il s’apprêtait à une sortie en ville :
On attend Tak qui vient à l’heure convenue. Il annonce l’intention de m’emmener promener, puis déjeuner en ville. Je m’habille et tout en m’habillant, constate par la fenêtre de ma très belle chambre que l’aspect postérieur des maisons, ici, a incontestablement quelque chose de très, de presque trop londonien. Des petites cours resserrées, où flottent, se nettoient au sable, se secouent et s’aèrent maints objets ménagers peu « suggestifs » ou plus que de droit. Ceci pour la rangée de maisons d’en face qui semblent appartenir à une plutôt médiocre rue parallèle à celle de Witsen, où, dans les cours, il y a des arbres où ne pendent aucun linges, et de l’espace que n’encombrent ni poteries ni ferblanteries culinaires, ni édredons au frais. [1]
Les arbres, s’ils ont grandi, sont toujours présents au rendez-vous, même si le chambranle original de la fenêtre a été remplacé par les propriétaires successifs. Pour ce qui est de la chambre elle-même, seul le poêle qui a chauffé Verlaine a survécu. Le manteau de la cheminée a subi plusieurs transformations. Toutefois, une impression générale est conservée dans la pièce principale qui fut l’atelier de Witsen où le poète pris ses petits déjeuners avec ses hôtes. La vue sur le parc, alors encore en pleine installation, reflète cet air de nostalgie qui nous prend au souvenir de ce que la vie a pu être en ce temps-là. Un exemplaire de Quinze jours en Hollande, numéroté du chiffre quatre, signé par Verlaine et une photographie du poète au seuil de la porte, une autre de lui prenant son repas, témoignent de son passage. Verlaine, loin d’être une illusion, même s’il nourrit notre imaginaire, imbibe encore les murs de sa prestance. C’est tout cela et encore bien plus que notre voyageur découvrirait sur les traces de Verlaine à Amsterdam.