L’Entre-deux-mondes

« L’Entre-deux-mondes chez Andreï Makine », dans Robert Jouanny, ed. Ecrivains Francophones d’Europe, Lecce, AF Interculturel Francophonies, 7 juin-juillet 2005, pp. 21-46

 

Nombreux sont les écrivains dont la langue maternelle n’est pas le français à écrire dans cette langue. Cet état de choses, toujours actuel, se propage rapidement lorsque Du Bellay écrit La Deffense, « Mais c’est avec la splendeur du Siècle de Louis XIV finissant que le français apparaît pleinement « mis au point », apte à être utilisé par des étrangers. » [1] Cette tendance, dirions-nous aujourd’hui, se fait ressentir, non seulement dans les ouvrages à vocation didactiques, mais envahit aussi les ouvrages composés pour le plaisir et le divertissement, récits de voyage, mémoires, correspondances et romans.

Si la Révolution et les guerres qui s’ensuivent ternissent la faveur dont jouit le français auprès des élites européennes, beaucoup, à l’ère romantique,  lui reste fidèle en tant que langue de communication et d’écriture. Toutefois, les raisons de l’adoption ont changé. « Nombre de ceux qui, pendant la période romantique et postromantique, continuent à écrire en français – qu’il s’agisse de Goethe, de Heine, de Kotzebue, de Calvos et de nombreux Grecs, de Tourgueniev, puis de Tolstoï, etc. – le font pour des raisons qui ne tiennent plus à une histoire culturelle assumée « les yeux fermés », mais à des raisons propres à chacun, idéologiques ou autobiographiques. » [2] Pour beaucoup d’entre eux, le choix s’explique par de multiples raisons, personnelles en grande partie. La situation, si elle a évolué politiquement, est encore, du point de vue linguistique, similaire au XXème siècle. Le français est toujours une langue littéraire de grande valeur.

Parmi les écrivains francophones de diverses origines, la situation qui les amène à ce choix n’est pas la même bien que se profile une certaine constante :

La situation linguistique des écrivains (ex-)colonisés, qui ont a subir une triple domination : politique, linguistique et littéraire, et qui sont, le plus souvent, dans une situation de bilinguisme objectif – comme Rachid Boudjedra, Jean-Joseph Rabearivelo, Ngugi wa Thiong’o, Wole Soyinka – n’est pas comparable, jusque dans ses effets littéraires, à la domination spécifique qu’exerce par exemple la langue française sur les écrivains européens ou américains, qui décident – comme Cioran, Kundera, Gangotena, Becket, Strinberg – de l’adopter, quelquefois momentanément, comme langue d’écriture. [3]

Cette décision dont parle Casanova n’est pas toujours un choix libre de toute pression économique, politique ou autre. Par exemple, Rachid Boudjedra qui a écrit ses premiers romans en français a donné la raison suivante : « J’écrivais en français quand j’étais en France parce que je n’aurais pas eu d’éditeur autrement. » [4] Est-il justifié de parler de choix dans ce cas ?

Quant à Kafka, qui a adopté la langue allemande comme langue d’écriture, il  en compare l’acquisition  à « l’appropriation […] d’un bien étranger qu’on a pas acquis, mais dont on s’est emparé en y portant une main hâtive (relativement) et qui reste un bien étranger, quand bien même on ne pourrait trouver la moindre faute de langage. » [5] Pour lui, l’appropriation linguistique se compare à un vol. C’est probablement Ramuz qui résume le mieux la situation de l’écrivain étranger d’origine :

C’est le dilemme qui s’est posé pour moi, quand j’avais vingt ans, et qui se pose pour tous ceux qui sont dans le même cas que moi, qu’ils soient nombreux ou pas nombreux : les extérieurs, les excentriques, ceux qui sont nés hors d’une frontière ; ceux qui, tout en étant liés à une culture par la langue, sont en quelque sorte exilés d’elle par la religion ou par leur appartenance politique […]. Le problème se pose tôt ou tard : ou bien il faut faire carrière et d’abord se plier à un ensemble de règles qui ne sont pas seulement esthétiques ou littéraires, mais encore sociales, politiques ou même mondaines ; ou bien rompre délibérément avec elles, non seulement en laissant voir, mais en exagérant ses propres différences : quitte à les faire admettre plus tard, si on peut. [6]

Ramuz, Kafka, Boudjedra ont en commun d’appartenir à une « petite » langue littéraire sans crédit. Nous reviendrons ultérieurement sur cet qualification quantitative. Ou bien ils se cantonnent à une écriture « nationale » ou bien ils doivent opter d’écrire dans une langue dite  d’un grand crédit littéraire :

L’une des particularités du rapport que les écrivains démunis entretiennent avec le monde littéraire tient donc au nécessaire et terrible dilemme qu’ils ont à affronter et à résoudre sous des formes différentes, quelles que soit leur histoire politique, nationale, littéraire ou linguistique. Placés devant une antinomie qui n’appartient (et n’apparaît) qu’à eux, ils ont à opérer un « choix » nécessaire et douloureux ; soit affirmer leur différence et se « condamner » à la voie difficile et incertaine des écrivains dans de « petites » langues littéraires et pas ou peu reconnus dans l’univers littéraire international, soit « trahir » leur appartenance et s’assimiler à l’un des grands centres littéraires en reniant leur « différence ». [7]

La question se pose légèrement différemment pour Andreï Makine. La Russie n’appartient pas au groupe des pays dominés politiquement, linguistiquement ou littérairement. Elle n’a pas été colonisée comme, par exemple, certains pays d’Afrique. Toutefois, elle fait partie des pays où l’imposition politique a dominé et la censure a régné. Le choix s’est donc posé de manière décisive pour certains de ses auteurs au XXème siècle. Comme l’explique Pascale Casanova, chaque écrivain dans une dictature ou un régime totalitaire de n’importe quel ordre est placé tôt ou tard devant ce choix :

L’arrivée au pouvoir de dictatures militaires telles qu’en ont connu, en Europe même, l’Espagne et le Portugal, ou l’installation des régimes communistes dans des contrées plus ou moins anciennes littérairement, comme l’Europe centrale et orientale, ont produit le même phénomène de « nationalisation » et de politisation intense (et donc de marginalisation) littéraires. […] Malgré une histoire littéraire ancienne et donc une relative autonomie, les enjeux littéraires sont devenus directement dépendants des impositions politiques. Les écrivains ont été immédiatement instrumentalisés ou soumis à la censure ; toute manifestation d’autonomie esthétique (et politique) a été réprimée, et le processus historique de séparation des instances politiques et nationales s’est trouvé suspendu. Dans de telles situations, la littérature est condamnée à retrouver les limites étroites d’une définition strictement politico-nationale – y compris parmi les opposants au régime. Là donc où toute médiation et toute indépendance sont supprimées, les créateurs sont, de nouveau, mis devant le choix caractéristique des univers émergents : produire une littérature politique au service des intérêts nationaux, ou s’exiler. [8]

Plusieurs écrivains choisissent donc l’exile comme solution. Que ce choix ne soit pas toujours le leur est clair. Il s’agit parfois de celui de leur parents. Tel fut le cas de Sarraute et Gran, entre autres. Les auteurs russes, après la révolution d’octobre devaient mettre leur plume au service de l’Union soviétique et du parti, pour une littérature que l’on pourrait qualifier de prolétaire, c’est-à-dire, produite pour les ouvriers et stimuler leur position d’une manière presque hagiographique ou bien devenir dissident. De cette dernière solution, le cas de Soljenitsyne est certainement le plus connu en Occident. Tzvetan Todorov précise, que placés devant les « données irréconciliables, l’incohérence des actes et la cohérence de la pensée », les dissidents « maintiennent l’intégrité de la pensée et dénoncent les contradictions dans lequel ils vivent. » [9] Leur solution est l’inverse de celle de l’individu qui se soumet au pouvoir et adopte deux formes de discours, l’une publique et l’autre privée. Un « dédoublement » qui est très similaire en son fonctionnement à celui opéré par le bilingue. De ce fait, le bilingue, tout comme l’habitant d’un pays sous régime totalitaire, vit, selon Todorov, entre deux mondes. La sphère publique et la sphère privée connaissant deux langages différents qui se rejoignent et forment une seule et unique vision, celle de celui qui réside entre deux mondes, interstice que nous appellerons l’Entre-deux-monde. Un univers qui n’appartient qu’à lui, différent pour chacun, pour celui  qui est ni d’ici ni d’ailleurs et de partout à la fois. Revenons à la langue et son potentiel littéraire, sa littérarité.

La langue russe est une langue peu lue par les polyglottes en dehors de ses frontières géographiques. Or,  : « plus les polyglottes qui pratiquent une langue sont nombreux, plus la langue est centrale, c’est-à-dire dominante. » [10] Dans cette optique, le russe, malgré sa grande tradition littéraire, ne peut être nommé une langue dominante. En dehors de la Russie et quelques républiques de l’ex-Empire soviétique, ses auteurs sont principalement lus en traductions. Certains d’entre eux ont choisi d’écrire en français. Sur les traces de la comtesse de Ségur, Anna de Noailles et Henri Troyat, Andreï Makine est de ceux-là. Est-ce vraiment un choix ou bien la conséquence d’une certaine situation ? Dans cette étude, nous nous proposons d’analyser le « Pourquoi et le Comment écrire en français » chez Andreï Makine. Comment et pourquoi ? Double interrogation à laquelle nous tenterons de répondre. Mais avant de nous y essayer, penchons-nous un instant sur le « Quoi » ou pour l’exprimer en d’autres termes, sur les ouvrages d’Andreï Makine parus à ce jour ?

Son premier roman, La Fille d’un héros de l’Union  soviétique (1990) [11] est paru chez Robert Laffont, Confession d’un porte-drapeau déchu (1992) [12], chez Belfond et Au Temps du fleuve Amour (1994) [13], aux Editions du Félin. Son quatrième roman, sorti au Mercure de France, Le Testament français (1995) [14]  a reçu le prix littéraire français le plus prestigieux, le Goncourt, à l’unanimité. Mais de plus, ce qui ne s’était encore jamais vu jusqu’alors, il fut aussi couronné par le prix Médicis et le Goncourt des Lycéens la même année. Ensuite, cinq romans à ce jour (anno 2004),  Le Crime d’Olga Arbélina (1998) [15], Requiem pour l’Est (2000) [16], tous les deux au Mercure de France, La Musique d’une vie (2001) [17], aux Editions du Seuil  et La Terre et le ciel de Jacques Dorme (2003) [18] à nouveau au Mercure de France. Et enfin, La Femme qui attendait (2004) [19] aux Editions du Seuil. En plus de cela, Andreï Makine a écrit les textes d’un ouvrage de photographies [20] et une thèse de doctorat à Paris Sorbonne. [21] Tous ces ouvrages sont rédigés en français.

De ces neuf romans, nous choisissons plus particulièrement trois d’entre eux pour illustrer notre propos. La Fille d’un héros de l’Union soviétique parce qu’il est le premier paru, Le Testament français, car il peut, très certainement, être considéré comme le roman charnière dans la carrière de l’auteur : « Les trois romans précédents étaient passés « inaperçus, complètement inaperçus ! » » [22], Le Crime d’Olga Arbélina car il est celui qui a suivi le Goncourt. En accord avec les rivalités de coutume du milieu littéraire parisien, il a été autant éreinté par la critique que Le Testament français fut encensé. « Le cinquième roman, je l’ai écrit tout en sachant que ça allait être… qu’on allait m’assassiner ! » [23] A ce sujet, Nathalie Heinich remarque dans L’Epreuve de la grandeur (1999) : «  que les grands succès s’accompagnent presque toujours de ragots tendant à diminuer les mérites de leurs bénéficiaires. On sait par exemple que les romans encensés par la critique avant l’obtention d’un prix sont régulièrement l’objets de jugements beaucoup plus réservés après la récompense – sans parler du roman suivant, qui aura peu de chances d’être loué. » [24]

Comment écrire en français

En lisant l’entretien avec Andreï Makine, consigné par Nathalie Heinich dans l’ouvrage précité, un des points du « Comment » s’éclaire de la lumière de l’évidence : Ecrire avec persévérance. Ecrire, parce que l’auteur, envers et contre tout « y croit. » Nous reprenons cette expression de croyance et de confiance en soi décrite par Heinich qui précise : « Cet engagement total dans la création ne tient qu’à condition, comme on dit, d’ « y croire », c’est-à-dire de se faire suffisamment confiance à soi-même pour n’avoir pas – ou à peine – besoin de la confiance d’autrui, qui peut ne se manifester qu’après de longs délais, si même elle n’arrive pas qu’après la mort. » [25] Cela vaut, très certainement pour Andreï Makine qui se rappelle : « Le refus de manuscrit, c’est ce qui m’est arrivé le plus souvent : le manuscrit était souvent refusé… . Ça arrive à tout le monde, mais c’était tellement méthodique ! J’envoyais des dizaines et des dizaines de photocopies. Et ils revenaient toujours, toujours… » [26] On le comprend aisément à cette anecdote, les débuts de la carrière littéraire de l’auteur n’allèrent pas de soi. Les refus étaient le lot commun des premiers manuscrits. Les raisons de ces refus sont toujours assez vagues. Toutefois, l’auteur a dû utiliser un subterfuge pour se faire éditer : « Makine n’a pu faire éditer ses premiers romans, écrits en français, qu’en les présentant comme « traduits du russe ». » [27]

Ce subterfuge s’il a réussi à Makine en trompant son éditeur, a aussi mis plus d’un chercheur sur une fausse piste. Tel Ray Taras qui mentionne : « Makine’s first novel, published in France in 1990 and written in Russian, was called La Fille d’un heros de l’Union sovietique. The French translation did not do justice to his command of prose which may have convinced him to write in French from then on. » [28] Ce malentendu est compréhensible puisque à sa parution chez Robert Laffont, le livre porte sur la page titre : « Roman traduit du russe par Françoise Bour. » [29] Quand à la dédicace, elle peut induire plus d’un en erreur : « M. Georges Martinowsky, agrégé de russe, a bien voulu relire le manuscrit de ce roman, ainsi que sa traduction. Qu’il trouve ici les remerciements de l’auteur et de la traductrice pour les remarques qu’il a formulées et qui leur ont été extrêmement précieuses. » [30] Ces « précisions » sont restées dans les éditions suivantes de 1992 et le Folio. Relation complexe, s’il en fut, à la langue d’écriture : Traduction ? Pas traduction ? « Le choix de l’une ou l’autre option, passage successif de l’une à l’autre langue, peut faire l’objet d’oscillations, d’hésitations, de remords ou de retour en arrière. Ce ne sont pas des choix tranchés, mais une série de possibles, dépendants de contraintes politiques et littéraires et de l’évolution de la carrière de l’écrivain (le degré de reconnaissance national ou international.) » [31] Nous étudierons ces choix plus loin, mais Andreï Makine a écrit en russe à un moment de sa vie. Agrégé de Lettres d’une université russe, et enseignant dans son pays d’origine, cela est inévitable. Penchons-nous maintenant sur son premier roman.

La Fille d’un héros de l’Union soviétique

Ce roman traite d’issues de dimensions polysensorielles qui aboutissent à différentes formes d’expression sémiotique et à leur syncrétisation. Le personnage principal, Ivan, après avoir subi un processus d’iconisation, ne parvient plus à se reconnaître. Certains événements survenus au cours de sa vie sont cause de changements brutaux qui l’aliènent de soi-même. Au fil des pages, sont présentés les côtés pile et face de la guerre, mythifiée dans la rencontre d’Ivan et Tatiana sur le champ de bataille. Le revers en apparaît dans le quotidien misérable qui est le leur une fois la paix revenue. Tatiana meurt peu après la naissance de leur fille, Olia. En 1980, l’année des Jeux olympiques de Moscou, Olia, élève à l’Institut Maurice Thorez, pratique naïvement sa connaissance du français avec un jeune athlète dont elle tombe amoureuse. Son histoire bénigne avec le jeune Français est cataloguée de prostitution par le KGB pour mieux lui faire ensuite accepter son entrée dans la profession. Par un subtil transfert linguistique, l’amourette devient prostitution. D’un monème à l’autre, la frontière inter sémiotique  est franchie grâce au pont de l’hypocrisie.  Ray Tars, résume ainsi la situation : « By the 1980s, being the daughter of a Hero of the Soviet Union qualified one to become a highly-paid prostitute. » [32] Une conclusion proche de la réflexion de Katherine Knorr : « And so prostitution turns out to be a better life than many, for a while. » [33] Alors que fier d’elle, Ivan la pense une interprète de première classe, sa fille se prostitue sur ordre du KGB, à des hommes d’affaires étrangers. Cette découverte fatale, précipite la déchéance finale du héros, suivie par sa mort.

L’antinomie, présentée de manière récurrente, de la guerre et de la paix laisse aussi la place à quelques moments privilégiés où la paix domine. C’est ainsi que dans le miroir de Tatiana se reflète le ciel immense au-dessus du soldat allongé sur le sol. Le ciel comme Tolstoï le fait découvrir au « prince André blessé, étendu sur le champ de bataille d’Austerlitz. » [34] Cependant, Andreï Makine épure encore la simplicité de Tolstoï qui écrit : « Ce ciel, lointain, haut, éternel », pour lui, ce ciel est tout simplement bleu. Quoi de plus beau, de plus pur, de plus simple qu’un ciel bleu ? Cependant, ce ciel transcende la réalité du quotidien reflété dans le miroir : les cristaux de givre qui recouvrent frileusement l’arbuste dans « le vide ensoleillé et sonore de l’air. » Ce même ciel dont Ivan n’aura pas loisir de parler lors des entretiens des célébrations.

Mais, pour Andreï Makine, il s’agit toutefois d’écrire le ciel sans connotation directe à la morale ou à la religion. Il s’en rend compte après avoir découvert un télégramme de Lénine dans les archives  où celui-ci suggère de tuer en représailles « 100-1000 » personnes :

Je devais avoir à l’époque seize ans quand je suis tombé sur le texte de ce télégramme dans l’un des volumes des Œuvres complètes de Lénine. Je me suis imaginé alors justement ces neuf cent personnes que ce tiret désignait – des personnes très concrètes avec leurs faiblesses, leurs amours, leur passé, leur vie de simple mortel. J’ai imaginé aussi le type de surhomme révolutionnaire, mélange de Grand Inquisiteur et de Sokolovitch. Et je me suis dit, avec toute la naïveté de mon âge, le seul moyen de s’opposer à ce tiret, qui supprime neuf cent vies, c’est de parler de ce ciel grand, élevé et juste. Mais en parler en évitant le langage de la morale. Parler de ce ciel sans employer des termes religieux, évoquer le ciel sans le nommer Dieu. Et aujourd’hui je pense que cette façon de dire le ciel est la définition même du style. [35]

On retrouve dans ce passage l’intention du jeune narrateur du Testament français qui désire « refaire l’histoire. Purifier le monde. Traquer le mal. » [36]

Dans ce roman, Andreï Makine décrit aussi ce que Todorov nomme « l’un des aspects le plus pervers du communisme », une idéologie qui « valorise le « nous » au-dessus du « je. » » [37] En effet, nous voyons comment l’institution s’approprie les sentiments personnels d’Olia, les détourne et les dénature afin de servir la cause commune. De même que les émotions d’Ivan sont occultées par les journalistes pour servir la propagande. Passons maintenant au second roman choisi pour cet exposé.

Le Testament français

Un jeune Russe, nourrit par les histoires de sa grand-mère maternelle française, porte en soi la greffe du bilinguisme littéraire et culturel. Le passage de l’enfance à l’adolescence se fait par la prise de conscience de ces deux univers qui s’entrechoquent en lui. Une France disparue, engloutie par le temps et ressuscitée par les histoires et les souvenirs de Charlotte, la grand-mère. Cette France à laquelle il aspire d’un côté. De l’autre, souffrir de son amour pour cette Russie, qu’il découvre par les histoires de Dmitrich, : « comme si pour l’aimer, il fallait s’arracher les yeux, se boucher les oreilles, s’interdire de penser. » [38]

Le jeune narrateur pense se conduire comme un Français le ferait. Il flâne le soir sur, ce qui pourrait passer pour, « les boulevards » avec tout ce que cela comprend d’espoir d’une rencontre amoureuse :

J’étais seul, libre. J’étais heureux. En chuchotant, je m’adressais à moi-même en français. Devant ces façades en trapèze, la sonorité de cette langue me semblait très naturelle. La magie que j’avais découverte cet été allait-elle se matérialiser en quelque rencontre ? Chaque femme qui me croisait avait l’air de vouloir me parler. Chaque demi-heure gagnée sur la nuit étoffait mon mirage français. Je n’appartenais plus ni à mon temps ni à ce pays. Sur ce petit rond-point nocturne, je me sentais merveilleusement étranger à moi-même. [39]

Il se sent étranger à soi-même et heureux de l’être jusqu’au jour où il découvre vivre dans un autre univers : la Russie. Alors, il explose : « Ce pays est monstrueux ! Le mal, la torture, la souffrance, l’automutilation sont les passe-temps favoris de ses habitants Et pourtant je l’aime ? Je l’aime pour son absurde. Pour ses monstruosités. J’y vois un sens supérieur qu’aucun raisonnement logique ne peut percer… » [40]

Dans Le Testament français, écrit à la première personne, l’auteur soulève la question de la double appartenance culturelle et la manière dont le narrateur est affecté dans son identité et son subconscient. Tous ses camarades ignorent ce côté français qu’il porte en lui. Il voudrait être comme eux mais ne peut s’amputer de cette part de lui-même. Dans cette situation conflictuelle, il refuse son identité. Incapable d’être soi-même, il souffre de sa différence non assimilée.

« C’est dans la distorsion entre le réel et l’idéal, ou entre les réalisations effectives et les potentialités, que peut faire problème la façon dont un sujet se perçoit lui-même : un problème essentiellement intérieur, mais susceptible de s’expliciter sous une forme communicable à autrui. » [41] La forme choisie par le narrateur est de conter des histoires à ses camarades pour les amuser. Une forme communicable, communicante des grandes questions existentielles dont le fameux et insondable : « Qui suis-je ? » [42]

Cette autoperception n’est elle-même qu’un des trois moments du jeu identitaire, lequel inclut également la représentation qu’un sujet offre de lui-même, et la désignation qui lui est donnée par autrui : « se sentir », « se dire » ou « être dit » […] ne relèvent pas des mêmes opérations, ne font pas appel aux mêmes ressources. Ces trois moments n’en sont pas moins indispensables l’un que l’autre au sentiment d’identité ; et surtout leur éventuelle discordance est source de tensions, de souffrances, de conflits plus ou moins intériorisés. [43]

Le narrateur se sent français et russe tout à la fois. Il pénètre dans l’Entre-deux-monde et seule l’écriture est apte à alléger sa souffrance. Cette réalisation par l’écriture, se retrouve chez plusieurs des personnages : Outkine dans Au temps du fleuve Amour et le narrateur de La Femme qui attendait écrivent tous les deux. Le narrateur du Testament français choisit de raconter des histoires et de les coucher, par la suite sur le papier.

Andreï Makine, dans ce roman, écrit sur la Russie mais aussi sur la France. Une France vue de Russie. De Sibérie, pour être exact. Celle de Proust et des frères Goncourt, celle de Charlotte. « Je pense qu’il existe des constantes. Sans parler de la France éternelle, on peut constater qu’il y a des choses qui ne bougent pas, des constantes de l’esprit national, du peuple et vous les retrouvez dans la culture, la littérature, la façon de voir les choses, la pensée ce que l’on pourrait appeler Francitude. » [44] Cette Francitude décrite dans Les Lieux de mémoire  de Pierre Nora. Cette Francitude imaginée par un jeune garçon russe à qui sa grand-mère française, lègue le plus beau des cadeaux : une vision et une langue pour l’exprimer avec tout le « chatoiement » [45] et le « bruissement » [46] nécessaires au « plaisir du texte. » Du moins, en va-t-il ainsi dans Le Testament français dans lequel la double appartenance culturelle engendre l’élaboration du Moi. La prise de conscience de soi, génère une crise, où l’identité et l’altérité s’enchevêtrent en des écheveaux tissés de fils de la Vierge et de fils barbelés difficiles à démêler.

Le jeune narrateur s’interroge sur son identité « L’interrogation sur l’identité est, souvent, la source ou du moins le corollaire d’un changement de langue, qui n’a pas pour seule vocation d’exprimer un refus, mais bien de répondre à un désir de reconstruction. Se définir par rapport à l’Autre, avec les moyens de l’Autre, n’est-ce pas encore tenter de se définir, sous un jour renouvelé, par rapport à Soi et à ses Origines ? » [47] A l’œuvre est ici  l’antinomie du « Je » et de l’ « Autre », de l’identité et de l’altérité. Et, peut-être le plus important encore, il s’agit de deux visions totalement différentes qui se fondent en une unité symbiotique dans le roman. Bien qu’également présente dans Le Crime d’Olga Arbélina, nous voyons que cette antinomie prend une forme toute différente.

Le Crime d’Olga Arbélina

Ce roman, écrit à la troisième personne par un narrateur hétérodiégétique dépeint la relation d’une mère et de son enfant. Réfugiée de la révolution d’octobre, et abandonnée par son mari, Olga s’installe avec son fils à Villiers-la-Forêt où elle devient bibliothécaire. Narré par le gardien du cimetière où repose son corps, le récit enchâssé consiste en la constatation du comportement de son fils. Celui-ci ajoute, à son insu, un somnifère puissant à son infusion vespérale de houblons pour s’introduire subrepticement dans son lit. Elle découvre de manière inattendue les faits et gestes de ce dernier. Après  le dégoût et le déni, suivent la fascination de l’horreur et  viennent, pour Olga, l’acceptation, la jouissance et la culpabilisation, pas nécessairement dans cet ordre.

De toute évidence, le personnage d’Olga ne peut être une transposition pure et simple de la personne de l’auteur comme cela aurait pu être le cas dans Le Testament français. Tout au plus peut-il s’agir de son « Emma Bovary. » Ce qui rend la situation encore plus complexe est que l’auteur écrive dans une langue qui est une langue seconde pour lui. « Pourquoi quand vous rencontrez un russe, vous vous sentez différent, pas seulement par la langue; il y a une différence de vision. » [48] Cette différence de vision est à la racine de l’inversion de la problématique de l’inceste dont la diégèse est le vecteur : « S’il est vrai que tout écrivain parle de soi et porte en soi sa « Madame Bovary », il est certain que le problème du rapport entre le vécu et le dit est plus complexe aussitôt qu’il s’agit d’un écrivain qui est comme dichotomisé par son adoption d’une langue autre que sa langue maternelle. » [49] De ce fait, l’antinomie identitaire présente dans le roman est soulignée par l’appartenance culturelle d’Olga : Russe, exilée, et réfugiée en France. Olga n’est pas écrivain, elle travaille à la bibliothèque. Un métier corollaire à l’écriture.

Le problème soulevé dans ce roman se rapporte à la relation mère-fils. Il s’agit de l’esthétisation de la problématique de l’inceste, de la souffrance de la victime, de sa vision dichotomisée, de son errance  dans l’Entre-deux-monde. Olga, bien qu’elle omette d’ériger la barrière du refus de son corps à son fils dès qu’elle prend connaissance de ses agissements nocturnes, n’en reste pas moins la victime de celui-ci. N’oublions pas, qu’en premier lieu elle ignore tout de ses agissements. Sa réaction à la découverte est l’horreur. Son silence peut être défini comme coupable. Toutefois, ce qui importe est le lent processus d’aliénation qui l’emporte vers la folie, le lot qui échoit à beaucoup de victimes de l’inceste. [50] En cela, le crime d’Olga se résume à un crime par omission. Elle reste muette après sa découverte au lieu de morigéner son fils. Par là-même, elle se condamne à errer dans l’espace de l’Entre-deux-monde, pour elle, occupé par la folie.

Avant Makine, les auteurs ayant interrogé l’inceste sont légende. « Montaigne et Montesquieu relativisant l’union interdite, Diderot la transférant en Océanie pour l’exalter, Casanova se vantant de la pratiquer, Sade l’affûtant en lame de polémique, Restif la fantasmant au milieu d’une famille haletante. » [51] C’est le mérite de Makine d’en avoir inversé la problématique. Ici, un fils abuse de sa mère. Ce qui est généralement imputé à l’adulte dans une relation incestueuse relève, dans la diégèse, du comportement de l’adolescent.

De nombreux auteurs ont varié, presque à l’infini, sur cette problématique de l’inceste, « Autant de titres, autant de variations » nous dit D’Astorg : « D’abord, sur les planches du théâtre, les drames qui sont les textes les plus immédiats parce que des voix vivantes les exposent. » Et, poursuit-il « La suite des romans est autrement longue et n’en finit pas de dire comment le récit du couple frère-sœur peut être tenté, esquissé, détourné, ou accompli, désiré, répété, proclamé, compliqué de gémellité ou encore dissimulé, pardonné, idéalisé, feint, nié, renoncé ou simplement imaginé, fantasmé, transfiguré. » [52] Peu d’entre eux relatent la relation mère-fils et aucun le viol, de la mère inconsciente, par le fils. Makine a donc écrit autrement sur l’inceste. C’est sans doute aussi son mérite d’avoir décrit et démontré les limites qu’il importe à  l’adulte, quelle que soit sa misère émotionnelle, de délimiter pour l’enfant dont il a la charge. Qu’il lui incombe la responsabilité du bien-être psychique, moral et physique de cet enfant. Mais revenons un instant au narrateur du Testament français et les problèmes identitaires.

Je, Nous et les Autres

Du point de vue développé par Emmanuel Lévinas, Julia Kristeva et Mikhail Bakhtine le concept d’identité nécessite un « Je » et un « Autre » pour exister. Séparés et l’Un en face de l’Autre chez Lévinas, L’Humanisme de l’Autre homme (1972) [53], ils peuvent aussi être présents dans le même selon Kristeva, Etrangers à nous-mêmes (1988). [54] En ce qui concerne Bakhtine, le moi prend conscience de soi-même uniquement en interaction avec l’Autre, [55] ce que Todorov résume  en « principe dialogique. » [56]  Aucune construction de l’être n’est possible en dehors du contexte social. L’Autre est la condition sine qua non de l’élaboration de l’identité du Moi. Ces conceptions, pour aussi divergentes qu’elles soient, au premier abord,  ne s’excluent  pas nécessairement mutuellement.  Elles sont amplement illustrées par  Andreï Makine dans Le Testament français qui comprend le concept d’identité et celui d’altérité, emboîtés l’un dans l’autre comme des poupées russes.

Nous pouvons voir dans ce roman « L’Autre en soi » comme le dépeint Kristeva dans Etrangers à nous-mêmes et l’Autre comme « totalement différent » exprimé par Lévinas dans L’Humanisme de l’autre homme. D’une part, le narrateur grandit à l’ombre des anecdotes françaises enfouies dans les souvenirs de Charlotte. De l’autre, dans celle des récits de l’empire soviétique relatés par Dmitrich. Le politique et le social sont enchevêtrés dans les anecdotes qu’il écoute. Quelle que soit son action, le narrateur ne sera jamais semblable à ses camarades à l’identité univoque. Ils ignorent dans leur chair la scission interne qui gouverne sa disparité. Toutefois, il les perçoit dans leur essence. Sa subjectivité lui fait découvrir leur personnalité qu’ils soient « prolétaire, tekhnar ou intellectuel. » A l’aide de ses récits adaptés à chaque groupe auquel il s’adresse, il finit par être accepté par eux. De toute évidence, il doit se soumettre aux divisions de la société afin d’être accepté par celle-ci. Il s’est fait « pareil pour rester autre. » [57] Un processus similaire est à l’œuvre pour Olia dans La Fille d’un héros de l’Union soviétique. Elle doit se conformer aux propositions du KGB pour exister dans l’univers social. Olga, quant à elle, transgresse les lois sociales ainsi que celles de l’identité. La folie est le lot qui lui échoit pour cela.

Bien qu’écrit en français, une grande partie de l’univers makinien se situe en Russie. Cela est insuffisant pour faire de Makine un écrivain russe. Toutefois, il est impossible de négliger cet aspect si l’on veut analyser la pensée esthétique et philosophique, devrions-nous dire politico-poético-philosophique, le « Comment et le pourquoi » de son écriture. Makine décrit comme une antinomie « significative pour la pensée esthétique et philosophique russe » [58] le concept du « byt » et du « bytié. » Traduit, le « byt » serait « le vécu, le quotidien, les us et coutumes, l’ensemble des conventions socio-psychologiques, le cadre socio-psychologique de l’existence. Le « bytié » signifiera dans cette perspective terminologique, le dépassement du « byt », le retour à l’univers perçu dans son état extra fonctionnel. » [59] Nous adoptons cette antinomie et l’appelons l’antinomie du réel et du virtuel.

Une des constantes de la poétique de Makine est son caractère duo phonique, antinomique qui souvent s’illustre  en une scission entre le réel et le virtuel, le quotidien et son dépassement et l’inversion de la problématique. Le réel étant les phénomènes isolés survenant dans la vie de chaque personnage, son vécu. Ceux-ci renvoient à des structures et des faits sociaux, politiques et historiques dans lesquels ils s’enchevêtrent et sans lesquels leur sens ne pourrait apparaître : le virtuel. C’est donc en accentuant cette antinomie, grâce souvent à ce que nous conceptualiserons comme une technique d’inversion que Makine écrit ses romans et fait vivre ses personnages. Inversion de la problématique de l’exil et de l’identité dans le Testament français, où le jeune narrateur a la nostalgie de la France sans jamais y avoir mis les pieds et où il se sent étranger dans son pays natal bien avant de le quitter. Inversion de la problématique de l’inceste dans Le Crime d’Olga Arbélina. Inversion de la problématique de la guerre et de la paix et de la notion de héros dans La Fille d’un héros de l’Union soviétique où le héros est un anti-héros et où l’inversion est annoncée dans le titre même puisque le personnage principal n’est pas la fille, bien que ce soit par ses agissements que l’inversion finale ait lieu, mais le père. Par cette inversion qui délimite de manière plus aiguë la problématique abordée, les personnages se meuvent dans l’Entre-deux-monde. Voici en bref quelques traits du « comment écrire » présent dans les livres d’Andreï Makine. Si nous avons pu découvrir quelques-uns de ces traits du « Comment », il nous reste à savoir le « Pourquoi. »

Pourquoi écrire en français ?

Makine s’inscrit dans une longue tradition d’auteurs d’origine russe qui écrivent en français. Catherine II correspondait déjà en cette langue avec les philosophes.  Pouchkine, Tolstoï, Tourgueniev étaient francophiles et francophones. Dostoïevski a traduit Eugénie Grandet. Plus près de nous, à l’époque contemporaine, d’autres Russes ont choisi d’écrire en français : Fédorovski, Gran, Milovanoff, entre autres. Le français est encore une langue largement appréciée et pratiquée en Russie : « En venant aujourd’hui à Moscou, vous retrouverez intacts certains cercles intellectuels où on parle français, où on aime cette langue, où on découvre les nouveautés de la littérature française en même temps qu’à Paris ou ailleurs. » [60] Si Andreï Makine n’est pas le premier écrivain d’origine russe a avoir reçu le Goncourt, [61] il est le seul écrivain de langue française a avoir été primé trois fois en France pour le même ouvrage. [62] Ce qui illustre aussi, qu’il écrive autrement. Comme le souligne Robert Jouanny : « Que le désir d’écrire le français autrement soit sous-jacent dans l’écriture de tout écrivain francophone est un fait incontestable. » [63] Comme nous l’avons remarqué plus haut, le français de Makine, est innovateur quant au contenu bien que la forme en soi traditionnel. Comme il l’explique, cela vient de son parcours semblable à ceux de Pouchkine, Dostoïevski et Toltoï qui correspondaient en français, pour eux une langue d’usage :

J’ai eu pour professeur cette française, comme vous diriez « purjus », qui parlait un très beau français, pas encore souillé par les sabirs d’aujourd’hui, un français d’ailleurs très savoureux mais pas épuré: elle n’était pas du tout puriste, elle maniait tous les styles, tous les registres de cette langue, en passant des expressions très élevées, de grand style à des expressions plus gargarisantes, argotiques. Elle connaissait la totalité de cette langue que vous retrouverez d’ailleurs chez Proust. On se figure souvent, Proust c’est le début du siècle, la Belle Epoque, donc c’est une langue très classique. C’est faux. Si vous le relisez vous découvrirez toute une palette de parlers très différents, comme des dialectes. Une prostituée chez Proust ne parle pas la même langue que Swann, elle parle sa propre langue française, très populaire et savoureuse, incorrecte souvent. Exemple, elle dira « Ah si j’aurais su ».

Voilà c’était ça, ce parcours qui a suivi le tracé laissé par les grands représentants de la littérature russe et de ce courant francophone et francophile. [64]

Ces différences de registre auxquelles l’auteur est sensible, se retrouvent en divisions nettes dans La Femme qui attendait [65] où le parler salace d’Otar contraste et heurte celui des autres personnages. Ce dernier roman de Makine se situe presque entièrement en Russie tout comme La Fille d’un héros de l’Union soviétique. Est-ce parce que comme selon Jouanny « lorsque l’écrivain se trouve en situation d’exil – qu’il s’agisse d’un premier livre ou d’une résurgence d’un lointain passé – , l’image de la terre natale s’impose, pour des raisons diverses, souvent complexes. La nostalgie n’est pas la seule raison. Dans bien des cas, l’écrivain souhaite soit se présenter au destinataire, soit, dans une certaine mesure se déculpabiliser à ses propres yeux. » [66] Est-ce comme le prétend Christine Ferniot parce que « l’auteur du Testament français n’en a pas fini de se colleter avec ses fantômes » ? [67]  Il y a certainement du vrai dans ces explications. Le reste du « pourquoi » doit se chercher dans les romans d’Andreï Makine.

En effet, il s’agit de témoigner des moments de bonheur dans la vie du grand empire. S’inscrire dans la tradition littéraire de deux pays, flotter entre deux mondes. Ecrire en français pour témoigner de la Russie devant ceux qui ne savent pas, comme le désire cette femme de Requiem pour l’Est. Ecrire pour « dire la vérité », pour « témoigner » des atrocités vécues, vues, subies. En français parce que l’on maîtrise la langue et que l’on habite le pays ? Peut-être, sans doute, mais aussi parce qu’en français, il n’y a pas la retenue, le frein  ressentis dans la langue maternelle, le russe. A Jean-Louis Tallon qui lui demandait si écrire dans une autre langue que dans sa langue maternelle l’avait libéré du complexe d’infériorité qu’il aurait pu ressentir vis-à-vis de ses prédécesseurs illustres, Makine répondait : « Ces ombres ne planent pas autour de moi et ne regardent pas au-dessus de mon épaule. Cela dit on s’en abstrait facilement. » [68] Cela dit, Andreï Makine pense comme Sartre que nous parlons dans notre langue maternelle mais que nous écrivons tous une langue étrangère. Alors pourquoi le français ?  Simple. Ecrire pour témoigner de son amour de la langue française comme le déclare le narrateur dans Le Testament français et prouver son attirance pour la culture française comme les trois compères dans Au temps du fleuve Amour. « Ce double sentiment d’une sorte d’obligation dont il faut s’acquitter, voire d’une mission à accomplir » [69] est aussi ce que décrit le narrateur de Requiem pour l’Est à plusieurs reprises : « Un jour, il faudra pouvoir dire la vérité… » [70] « Dire la vérité » est chose malaisée, terrifiante : « Toute l’énergie de mon réveil se mobilisa sur cette idée irréalisable. Je repris ma dénégation silencieuse en suivant tes mouvements dans le noir de la pièce. » [71] Impossible d’être impartial mais cela est-il nécessaire lorsqu’il s’agit de « Dire la vérité sur ce que nous avons vécu » ? Mais, il y a peut-être plus encore.

Nécessité d’écrire en français

Les écrivains francophones sont souvent assimilés par la critique littéraire, principalement par les théoriciens du post colonialisme,  comme émanation de la culture résultant de la colonisation et de la décolonisation dont elle a été suivie et ressortissants de pays francophones : « Mais il est d’autres écrivains, qui, sans appartenir à une collectivité considérée comme francophone, ont choisi, délibérément, d’écrire en français, au prix, généralement, d’une rupture avec la langue maternelle. » [72] Cette rupture ne joue qu’à un infime degré pour Andreï Makine qui n’a pas complètement rompu avec sa langue maternelle à son arrivée en France. En témoigne son étude sur Ivan Bounine [73] dont la bibliographie est en grande partie en langue russe. En témoigne aussi les cours de russe que Makine donnait avant de se consacrer entièrement à la littérature. Toutefois, comme le remarque Robert Jouanny, certains auteurs reflètent « à leur manière leur désir d’affirmer ce qui les caractérise. » [74] Cela se passe quelquefois avec encore plus de force lorsqu’ils sont considérés de deuxième génération.  Dans ce cas, « Comment passerait-on sous silence, dans le même ordre de revendication originelle, la place accordée par N. Sarraute, Makine, Milovanoff […] au contexte russe de leur enfance qu’ils s’attachent à mettre en accord avec leur nouvel être. » [75] Il est clair que ces écrivains européens et francophones forment un groupe à part et « Cette diaspora mérite d’être prise en considération car, marginale, elle échappe à nos clivages, catégories, rivalités nationales ; optionnelle, elle s’inscrit dans une démarche plus individuelle que collective, indépendante ou moins dépendante des contraintes de la tradition et de l’histoire. » [76]

Afin d’exister, littérairement, c’est-à-dire sur la scène internationale, un écrivain russe est souvent obligé d’adopter une langue seconde, une langue possédant plus de crédit littéraire que sa langue maternelle, le russe. Casanova cite amplement à ce sujet le cas de Nabokov qui a « connu le sort difficile de tous les écrivains exilés et dominés qui, pour pouvoir exister littérairement et accéder à une véritable autonomie créatrice, c’est-à-dire éviter la dépendance à l’égard de traductions incontrôlables, « choisissent » de devenir, selon le mot de Rushdie, des « écrivains traduits. » [77] Définition qui rejoint la réflexion, notée plus haut, de Makine sur la langue maternelle et la langue d’écriture. Dans cette optique, une langue écrite est toujours une langue traduite.

Alors pourquoi choisir le français ? Comme nous l’avons déjà noté, et Jouanny, Heinich et Casanova avant nous, il ne s’agit pas toujours d’un choix délibéré de la part de l’écrivain. Andreï Makine, tout comme les autres, est tributaire de circonstances existentielles personnelles qui ont fait pencher son choix du côté du français. D’autre part, « la France semble, de loin, le pays le plus « littéraire », c’est-à-dire celui dont le volume de capital est le plus important. » [78] Ce n’est pas le cas de la Russie et, de là partant, du russe. La France, du moins Paris, possède donc un énorme crédit littéraire et la possibilité d’adouber les écrivains qui lui gréent. « Le gigantesque pouvoir de dire ce qui est littéraire, appartient exclusivement à ceux qui se donnent, et à qui on accorde, le droit de légiférer littérairement. » [79] Ce pouvoir, la capitale littéraire parisienne en use car Paris est « devenu la capitale de l’univers littéraire, la ville dotée du plus grand prestige littéraire du monde. » [80] Quoi de plus normal donc lorsque l’on en a la possibilité, car locuteur du français, que d’écrire dans cette langue de préférence à une autre, fut-elle le russe, ayant moins de littérarité :

En raison du prestige des textes écrits dans certaines langues, il y a, dans l’univers littéraire, des langues réputées plus littéraires que d’autres et censées incarner la littérature même. La littérature est liée à la langue au point que l’on tend à identifier « la langue de la littérature » (« la langue de Racine » ou la « langue de Shakespeare ») à la littérature elle-même. Une grande littérarité attachée à une langue suppose une longue tradition qui raffine, modifie, élargit à chaque génération littéraire la gamme des possibilités formelles et esthétiques de la langue ; elle établit et garantit l’évidence du caractère éminemment littéraire de ce qui est écrit dans cette langue, devenant, par elle-même, un « certificat » littéraire. » [81]

Et ce certificat, Andreï Makine l’a durement gagné. Respecter la tradition et innover tout à la fois : un pari pas gagné d’avance : « C’est qu’on ne débarque pas impunément d’ailleurs lorsqu’il s’agit de s’insérer dans un microcosme aussi réduit – à la fois géographiquement et socialement – que l’est le milieu littéraire parisien. » [82] Toutefois, le milieu littéraire parisien reste friand d’innovation.

En conséquence, si Rubén Dario sait ennoblir Barcelone et Joyce, Dublin par la description littéraire, Andreï Makine le fait pour la Russie entière et particulièrement pour la Sibérie dans Le Testament français. Il serait erroné de voir en la Russie une nation sans crédit littéraire, sans reconnaissance avant l’arrivée d’Andreï Makine sur la scène internationale, mais comme le démontre Casanova, le rôle des descriptions est capital dans « la constitution de la mythologie littéraire. » [83] Or, jusqu’à présent la Sibérie jouissait, dans le monde occidental, d’une mythologie plus axée sur le politique que le littéraire. Cette manière de la mettre, roman après roman, sur la sellette internationale, est la jonction et l’explication du « Comment » et du « Pourquoi » de l’écriture en français de Makine. Pourquoi écrire sur les camps ? Parce que « informer le monde sur les camps est le meilleur moyen de les combattre » [84] nous dit Todorov. Cela est valable pour l’inceste, les problèmes identitaires, l’ancien régime totalitaire dont nous entretient Makine. Ecrire sur les différences est le meilleur moyen de les faire connaître et de là, les faire comprendre. Le « Comment » étant la description de Russes à l’ère contemporaine, leur vision, leur changement, leur identité, en un mot. Le « Pourquoi », la nécessité de révéler leur réalité quotidienne tout en  la transcendant par la fictionnalisation et l’inversion des problématiques. Le français étant choisi comme langue d’écriture à cause d’une part, de sa littérarité supérieure à celle du russe. De l’autre, parce que cette langue, l’écrivain la connaît depuis son enfance. Ecrire autrement en français pour prouver son existence. Ecrire la symbiose des vérités culturelles visualisées dans la transcendance du quotidien. Ecrire la vérité de l’Entre-deux-monde.

Bibliographie

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Liens Internet :

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 Notes


[1] Jouanny, R., Singularités francophones ou choisir d’écrire en français, PUF, Paris, 2000, p. 11

[2] ibid., p. 14

[3] Casanova, P., La République mondiale des Lettres, Seuil, Paris, 1999, p. 352

[4] ibid., p. 365

[5] Kafka, F., Journal, 24 décembre 1911, Œuvres complètes, t. III, Gallimard, Paris, « Bibl. de la Pléiade », 1976, p. 194 (ed. établie par C. David), cité par Casanova, P., La République mondiale des Lettres, Seuil, Paris, 1999, p. 371

[6] Ramuz, C.F., Questions, 1935 ; repris in La Pensée remonte les fleuves, Plon, coll. « Terre humaine », Paris, 1979, p. 292, cité par : Casanova, P., La République mondiale des Lettres, Seuil, Paris, 1999, p. 248

[7] Casanova, P., La République mondiale des Lettres, Seuil, Paris, 1999, p. 247

[8] ibid., p. 266

[9] Todorov, T. , L’Homme dépaysé, Seuil, Paris, 1996, p. 43

[10] Casanova, P., op.cit., p. 36

[11] Makine, A., La Fille d’un héros de l’Union soviétique, Robert Laffont, Paris, 1990

[12] Makine, A., Confession d’un porte-drapeau déchu, Belfond, Paris, 1992

[13] Makine, A. Au temps du fleuve Amour, Editions du Félin, Paris, 1994

[14] Makine, A.,  Le Testament français, Mercure de France, Paris, 1995

[15] Makine, A.,  Le Crime d’Olga Arbélina, Mercure de France, Paris, 1998

[16] Makine, A., Requiem pour l’Est, Mercure de France, Paris, 2000

[17] Makine, A., La Musique d’une vie, Editions du Seuil, Paris, 2001

[18] Makine, A., La Terre et le ciel de Jacques Dorme, Mercure de France, Paris, 2003

[19] Makine, A., La Femme qui attendait, Editions du Seuil, Paris, 2004

[20] Makine A. et Ferranté Ferranti, Saint-Pétersbourg, Chêne Editeur, Paris, 2002

[21] Makine, A., La Prose de I. A. Bounine, Poétique de la nostalgie, Thèse de doctorat, Paris IV, 1991

[22] Heinrich, N.,  L’épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, La Découverte, Paris, 1999, p. 138

[23] ibid.,  p. 143

[24] ibid.,  p. 203

[25] ibid., p. 149

[26] ibid., p. 139

[27]  Jouanny, op. cit., p. 78

[28] Taras, R. “ À la Recherche du Pays perdu ”: Andreï Makine’s Russia ”, East European Quartely, XXXIV, N°1 March 2000, Columbia, p. 53. Nous soulignons

[29] Makine, A., La Fille d’un héros de l’Union soviétique, Robert Laffont, Paris, 1990, p. 7

[30] ibid., p. 9

[31] Casanova, P., op. cit.  p. 364

[32] Taras, R.,  “ À la Recherche du Pays perdu ”: Andreï Makine’s Russia ”, East European Quartely, XXXIV, N°1 March 2000, Columbia, pp. 51-79. “ dans les années 1980, être la fille d’un Héros de l’Union soviétique, vous qualifiait pour devenir une prostituée très bien payée. ” notre traduction.

3. Korr, K., « Andreï Makine’s poetics of nostalgia », The New Criterion, N.Y., pp. 32-36, « Et, pour un moment, la prostitution se révélait être une meilleure vie qu’une autre. » notre traduction.

[34] Makine, A., «Littérature: les avatars de l’absolu » Bacon lecture delivered at Harvard University on April 12, 2000

[35] Makine, A., “Littérature: les avatars de l’absolu » Bacon lecture delivered at Harvard University on April 12, 2000

[36] Makine, A., Le Testament français, Mercure de France, Paris, 1995, p. 190

[37] Todorov, T. , L’Homme dépaysé, Seuil, Paris, 1996, p. 81

[38] Makine, A., Le Testament français, Mercure de France, Paris, 1995, p. 186

[39] Makine, A., Le Testament français, Mercure de France, Paris, 1995, p. 178

[40] ibid., p. 186

[41] Heinrich, N.,  op. cit., p. 187

[42] Entretien avec l’auteur Andreï Makine, 14 novembre 2003, La Haye

[43] Heinrich, N.,  op. cit., p. 188

[44]Makine.A, Entretien publié sur le net : http://www.purjus.net/litterature/chroniques.php3?review=23

[45] Fumaroli, M., « Le génie de la langue française » Les Lieux de mémoire, Galliamrd, Paris, t. III, p. 4623

[46] Barthes, R., Le Bruissement de la langue, Seuil, Paris, 1984

[47]  Jouanny, R., op.cit., p. 142

[49]  Jouanny, R., op. cit., p. 141

[50] voir Lannoy, J.-D. de et Feuereisen, P., L’inceste, un siècle d’interprétations, Delachaux et Niestlé, Lausanne, 1996

[51] D’Astorg, B., Variations sur l’interdit majeur. Littérature et inceste en Occident, Gallimard, Paris, 1990, p. 73

[52] D’Astorg, B., ibid., p. 117

[53] Lévinas, E., Humanisme de l’autre homme, Fata Morgana, Paris, 1972

[54] Kristeva, J.,   Etrangers à nous-mêmes, Fayard, Paris, 1988

[55] Bakhtine, M.,  Esthétique et théorie du roman (1975), Gallimard, Paris, 2003

[56] Todorov, T., Mikhaïl Bakhtine le principe dialogique suivi de Ecrits du cercle de Bakhtine,  Seuil, Paris, 1981

[57] Makine, A., Requiem pour l’Est, cité par Jouanny, R., Singularités francophones, PUF, Paris, 1999, p. 157

[58] Makine, A., La Prose de I. A. Bounine, Poétique de la nostalgie, 1991, Thèse de doctorat, p. 7

[59] Makine, A., ibid.,  p. 7

[61] Henri Troyat l’a reçu en 1938 pour L’Araignée paru chez Plon, Paris

[62] Goncourt, Médicis et Goncourt des lycéens pour Le Testament français

[63]  Jouanny, R., op cit., p. 139

[65] Makine, A., La Femme qui attendait, Seuil, Paris, 2004

[66]  Jouanny, R., op. cit., pp. 148-149

[67] Ferniot, C., « Une Pénélope russe », Lire, Mars 2004, p. 71

[68] http://perso.wanadoo.fr/erato/horspress/makine.htm

[69] Heinrich, N.,  op. cit., p. 142

[70] Makine, A., Requiem pour l’Est, Mercure de France, Paris, 2000, p. 21

[71] Makine, A., ibid., p. 23

[72] Jouanny, R., op. cit.,  p. 6

[73] Makine, A., La Prose de I. A. Bounine, Poétique de la nostalgie, Thèse de doctorat, Paris IV, 1991

[74] Jouanny, R., op. cit.,  p. 117

[75]  Jouanny, R., ibid., p. 118

[76] Jouanny, R., ibid., p. 6

[77] Casanova, P., op. cit., p. 198

[78] Casanova, P., ibid., p. 30

[79] Casanova, P., ibid., p. 40

[80] Casanova, P., ibid., p. 41

[81] Casanova, P., ibid., p. 33

[82] Heinrich, N.,  op. cit.,  p. 145

[83] Casanova, P., op. cit., p. 338

[84] Todorov, T., Les Abus de la mémoire, Arléa, Paris, 2004, p. 11