Makine et Chamoiseau

« Patrick Chamoiseau et Andreï Makine : antipodes scripturaux et géographiques ? » dans Autour de Patrick Chamoiseau, Cahiers de l’Équipe de Recherche en Théorie Appliquée (ERTA), tome 1, Université de Gdansk, Sopot, 2008, pp. 141-152.

Je suis plus proche d’un Saint-Lucien anglophone

ou d’un Cubain hispanophone que n’importe quel

Africain francophone ou Québécois francophone.[1]  

Patrick Chamoiseau et Andreï Makine sont deux auteurs souvent cités en référence à la Francophonie[2]. Au premier abord à des années-lumière l’un de l’autre, leurs tribulations respectives dans un univers linguistique déterminé par la langue d’écriture les rapprochent-t-il ? Nous nous proposons de creuser à l’aide d’une analyse contrapunctique quelques similarités et dissimilitudes entre ces deux auteurs afin d’appréhender cette citation de Patrick Chamoiseau en exergue de notre article. En première instance, nous désirons exposer quelques repères historiques chronologiques et diachroniques afin de comparer les relations entre leur lieu natal et la France, ces relations étant, selon nous, d’une grande influence perceptuelle pour les deux auteurs[3]. Il va de soi qu’il ne s’agit nullement de retracer l’Histoire de la Martinique ou celle de la Russie, mais d’établir brièvement les relations franco-martiniquaises d’une part, de l’autre les relations franco-russes, la précision de la divergence entre les deux étant rarement accentuée, alors qu’elle nous apparaît primordiale dans l’étude comparatiste de ces deux auteurs. Suivra ensuite un bref portrait des deux auteurs et leur position face à la langue d’écriture, le français, que nous voyons être assez contradictoire d’après leurs déclarations et leurs écrits respectifs. En sus d’entretiens accordés par les auteurs, nous nous concentrerons majoritairement sur les ouvrages : Écrire en pays dominé[4] et Une enfance créole I. Antan d’enfance[5] en ce qui concerne Patrick Chamoiseau et pour Andreï Makine, La Terre et le ciel de Jacques Dorme[6]. Nous établirons in fine le bilan de cette brève étude.

Quelques repères historiques : Les relations entre la Martinique et la France[7]

Lors de fouilles, des archéologues ont découvert en Martinique des outils en pierre dont l’ancienneté est estimée à plus de 3000 ans. Ainsi la présence humaine sur l’île est attestée bien avant la colonisation européenne de l’arc caribéen et l’esclavage pratiqué par les Espagnols, les Anglais, les Français et les Hollandais[8]. On situe généralement les premiers occupants, les Arawaks, venus du Vénézuela aux alentours de 300 ou 400 avant J.-C.. Vers 1200 après J.-C., une nouvelle civilisation amérindienne apparaît dans les Antilles : les Caraïbes. Beaucoup moins paisibles que les précédents, on les dit anthropophages.

Selon certaines sources, lors de son quatrième voyage vers « les Indes », Christophe Colomb découvre la Martinique le 15 juin 1502. Toutefois, déjà lors de son second voyage en 1493, le 11 novembre, jour de la Saint-Martin, il aurait aperçu l’île. De ce fait, la paternité du nom actuel devrait lui être attribuée. Il aurait choisi de la rebaptiser Martinica, les Amérindiens l’appelaient Madinina. Ce n’est finalement que neuf années plus tard qu’il y met pied-à-terre. Pierre Belain d’Esnambuc y installe à son arrivée le 15 septembre 1635 la première colonie à Saint-Pierre pour le compte de la couronne de France et de la Compagnie des Îles de l’Amérique[9] créée par le Cardinal de Richelieu – au service de Louis XIII – afin de coloniser les petites îles des Petites Caraïbes. De ce fait, l’île est déjà colonisée par les Européens très tôt dans l’Histoire.

Il est bon de préciser qu’entre le quatrième voyage de Christophe Colomb et la prise de possession par les Français, les Européens établissent des contacts avec la Martinique. Au contraire des Espagnols que les peuplades d’Indiens effraient, car jugées dangereuses, et qui considèrent les îles des environs trop petites et de ce fait les délaissent, les Hollandais, les Anglais et les Français s’y aventurent sans crainte pour se ravitailler en eau. Ils y font relâche et s’y approvisionnent en vivres, initiant ainsi un commerce de bon aloi avec les Amérindiens.

Malgré cette bonne entente relationnelle des débuts, en 1642, Louis XIII autorise officiellement la déportation d’Africains à des fins d’esclavage dans les colonies[10], mais en Martinique, les Français débutent la traite négrière dès 1635 afin de fournir la main d’œuvre nécessaire à la culture de la canne à sucre. C’est le début officiel de la Traite des Noirs[11] sous divers euphémismes consacrés : le commerce de l’or noir, le commerce triangulaire, le commerce de l’ébène[12]. En 1673, Colbert créée la Compagnie du Sénégal, qui conquiert le monopole de la déportation des esclaves noirs d’Afrique vers la Caraïbe et la Guyane françaises. La traite devient alors une véritable industrie. Selon les estimations, plus de 700.000 esclaves sont déportés vers la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Domingue entre 1673 et 1789. En 1745, la Martinique compte environ 80.000 habitants dont 65.000 esclaves. De 1656 à 1814, Anglais et Français occupent successivement la Martinique. Le traité de Paris de 1814 marque le rattachement définitif de la Martinique à la France. De ce qui précède, ressort un rapport dominant/dominé entre la France et la Martinique et les habitants de la seconde sont – majoritairement – des êtres déportés privés de leurs droits humains. De ce fait, l’Histoire de la Martinique est raccordée à l’Histoire de France et les relations franco-martiniquaises fondées sur cette dépendance.

Repères historiques : les relations franco-russes

À l’encontre, les relations franco-russes commencèrent quatre siècles plus tôt que celles entre La Martinique et la France et sur une tout autre modalité. En 1051, Anna Iaroslavna[13], fille du prince de Kiev Iaroslav le Sage, épouse le roi de France Henri Ier. De ce mariage est issue toute une lignée des rois de France à partir de leur fils[14] Philippe Ier. Quelques siècles plus tard, les relations sont toujours amicales. 1586 voit Pierre Ragon, l’interprète du tsar Fédor Ier annoncer au roi de France, Henri III, l’ascension du souverain russe au trône. François de Carle est envoyé par le roi de France avec une lettre en réponse[15]. En 1615, le premier souverain de la dynastie des Romanov, le tsar Mikhaïl Fédorovitch, envoie à Louis XIII Ivan Kondryrev pour l’assurer de son amitié et lui signifier son ascension au trône. C’est en 1629 que Louis Deshayes-Courmenin négocie à Moscou pour le compte de Louis XIII un traité d’amitié et de commerce. Le tsar Alexis Mikhaïlovitch délègue auprès du roi Louis XIV Constantin Matchékhine pour l’informer des raisons de son entrée en guerre contre la Pologne. En 1668, le même tsar envoie Ptior Potemkine à la tête d’une ambassade auprès de Louis XIV pour négocier un traité de commerce.

Bien sûr, quelques problèmes diplomatiques surgissent aussi et assombrissent parfois les relations. En 1687, l’ambassade de la régente Sophie Alexeïevna venue proposer à Louis XIV de prendre part à la Sainte Alliance contre le sultan de Turquie échoue lamentablement. Et lorsque en 1705, deux vaisseaux russes sont capturés par les corsaires de Dunkerque, le délégué du tsar Pierre le Grand, Andreï Matveev, vient amèrement se plaindre à Versailles. Mais avec le voyage de Pierre Ier en France d’avril à juin 1717, le traité d’Amsterdam alliant la France, la Russie et la Prusse le 15 août, le temps revient au beau fixe. Par ailleurs, renforcé en 1787 par un traité de commerce signé à Saint-Pétersbourg le 11 janvier entre la Russie et la France.

L’esclavage[16]

À la même époque, notion très présente dans les écrits de Chamoiseau, l’esclavage et toutes les injustices et cruautés qu’il engendre fait rage sur la Martinique et les autres îles, mais également sur de grandes parties de l’Amérique. Laissons parler Chamoiseau sur le sujet : « Le molosse exprimait la cruauté du Maître et de cette plantation. Il était maladivement vivant »[17]. Le molosse conceptualise quelque chose d’énorme : le maître, le colonisateur, malade de cruauté ; il est la symbolisation de l’esclavage même. Cependant, tous les « maîtres » ne sont pas pour cette forme outrancière de domination.

À la veille de la Révolution française, Brissot crée la Société des amis des Noirs (1788-1799)[18]. Parmi ses membres les plus éminents, elle compte l’abbé Grégoire et Condorcet. Toutefois, malgré leurs efforts conjugués, l’abolition de l’esclavage ne peut être obtenue auprès de la Constituante. La Convention abolira l’esclavage seulement quelques années plus tard. Cette loi du 4 février 1794 ne sera, hélas, pas appliquée dans toutes les possessions françaises. Pour ce qui est de la Martinique, elle y sera superbement méprisée. Par ailleurs, cédant aux arguments des colons qui prétendirent être au bord de la faillite et incapables de survivre économiquement suite à la privation d’une main d’œuvre gratuite, Napoléon rétablit l’esclavage en 1802, de notre calendrier, soit la loi du 30 floréal de l’an X du calendrier révolutionnaire. D’un même élan, ce fut le rétablissement de l’interdiction des mariages mixtes qui fut institué. Presque un demi-siècle sera nécessaire pour que soit signé l’arrêt mettant officiellement fin à l’esclavage. En effet, le 27 avril 1848, Victor Schoeler, alors sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies de la Seconde République, paraphe le décret[19]. Mais, abolition ne signifie pas égalité avec le peuple blanc, puisqu’au Code Noir (1685)[20] succède le Code de l’Indigénat adopté le 28 juin 1881 limitant fortement les droits des Noirs[21]. À compter de ce moment, la France, tout comme le Royaume-Uni d’Angleterre et les Pays-Bas, aura recours à une main d’œuvre immigrée d’Asie pour pallier le manque occasionné par l’abolition de l’esclavage. Cet état de faits enrichira la Martinique de 1853 à 1870 de nombreux immigrés indiens venus initialement pour une durée de cinq ans, mais dont la plupart d’entre eux restera et contribuera au développement intellectuel et culturel de l’île.

Patrick Chamoiseau dans plusieurs de ses romans – mais aussi dans ses essais – relate une société déchirée par les affres de l’esclavage et la domination française. Par exemple, dans Une Enfance créole I, le déchirement de l’enfant d’avec sa langue maternelle parlée chez lui pour une langue qu’il devra apprendre à l’école est une métaphore et la symbolisation de cet écartèlement entre deux cultures où il exprime par-dessus tout son amour de la langue créole dominée :

Ô ma langue dominée que j’avais si mal envisagée. Ô ma langue créole : mosaïque, riche de ses sources en dérive de leurs sources. La plus jeune, la plus ouverte, la plus inouïe des langues car surgie d’un chahut linguistique, elle doit s’adapter sans fin aux mélanges accélérés. Elle n’a jamais connu d’orgueilleuse patine. Elle a vécu au cœur des génocides et des happées violentes. Elle n’a pas possédé l’espace-temps des solitudes altières. Elle ne connaîtra jamais de poste dominant[22].

Dans ses entretiens et essais, Chamoiseau insiste constamment sur le passé de l’île comme moteur de son écriture, mais aussi sur la dépersonnalisation entraînée par la départementalisation[23] qui « stérilis[e] » les habitants qui désirent « se blanchir » et souffrent de « complexes divers »[24].

Relations franco-russes (suite)

Les relations franco-russes se déroulant jusque-là en bonne harmonie, se compliquent à la Révolution française. Avec 1793, la rupture des relations franco-russes est consommée à la dénonciation par Catherine II du traité de février 1787 ce qui ferme, entre autres, l’accès des ports russes aux navires français. En 1799, la Russie, alliée à l’Autriche et l’Angleterre, entreprend une guerre contre la France. De cette guerre résulteront quelques victoires pour les Russes menés par le maréchal Souvorov telles l’Adda, la Trébie et le Novi. Stimulé par ces fortunes, Souvorov envahit la Suisse par le col du Saint-Gothard, mais doit se replier à la suite de Masséna. Les Russes et les Anglais doivent plier sous Brune. Qu’à cela ne tienne, deux années plus tard, en 1801, un traité d’amitié est signé à Paris le 8 octobre entre la France et la Russie pour être rompu en 1804. Les batailles d’Eylau et de Friedland, respectivement les 8 février et 14 juin 1807, aboutissent à Tislsitt où se rencontrent Alexandre Ier et Napoléon qui y signent un traité de paix et d’amitié au nom de leur peuple respectif. Mais, 1812 verra à nouveau entre la France et la Russie éclater une guerre dont retentissent encore le nom des fameuses batailles : Niémen, Smolensk, Borodino, Moskowa et la retraite de Russie de la Grande Armée. Défaite de Napoléon. Ce qui n’empêchera nullement, à Paris, la participation de la Russie à l’exposition universelle de 1867 ni celle de 1878 après, il faut bien le dire, quelques tribulations diplomatiques d’envergure. De ce qui précède, les relations entre la France et la Russie apparaissent – contrairement de celles entre la Martinique et la France – celles entre peuples et souverains égaux. Makine dans Le testament français, citant José Maria de Heredia va jusqu’à parler de « tournoi sans haine »[25] pour décrire les terribles guerres napoléoniennes de 1812.

Avec cette brève description des relations franco-martiniquaises et franco-russes, nous avons tenté d’esquisser l’immense différence sur laquelle elles se fondent, ce qui à notre avis influence le rapport perceptuel à la langue d’écriture des deux auteurs dont nous estampillons maintenant un bref portrait.

Patrick Chamoiseau

Patrick Chamoiseau est né le 3 décembre 1953 à Fort-de-France (Martinique)[26]. Il est donc français[27]. Et cela, en dépit des chercheurs ayant tendance à le nommer un « auteur martiniquais » par son lieu de naissance ou un « auteur antillais » suivant ses propres préférences[28]. Il poursuit des études de Droit et d’Économie sociale en France où, suite à ces études, il devient travailleur social, occupation qu’il professera ensuite à la Martinique. De retour en son espace natal[29], il s’intéresse aux formes culturelles anciennes de son île, tels les djobeurs et les vieux conteurs[30] qu’il décrira, entre autres, si exceptionnellement dans Solibo Magnifique (1988)[31]. De ce fait, il redécouvre les charmes de sa langue maternelle, le créole, abandonnée à son entrée à l’école. Abandon relaté dans Une Enfance créole[32]. Dans son premier roman, Chronique des sept misères[33], paru en 1986, Chamoiseau raconte l’expérience collective des djobeurs en un style hybride de son invention où s’allient les valeurs socio-symboliques du créole, la provocation et la subversion, mais néanmoins accessible aux lecteurs ignorants du créole, en Métropole ou ailleurs. Solibo Magnifique, son second roman, déploie le thème de la recherche identitaire ancrée en Martinique et développe les pratiques culturelles d’antan. C’est par son troisième roman, Texaco (1992)[34], couronné par le Goncourt, que Chamoiseau atteint la notoriété internationale. Grande épopée sur trois générations, le roman raconte les aléas sous l’esclavage, puis la première migration vers la ville (l’Enville) et l’époque actuelle. D’autre part, Chamoiseau devient la figure de prou du mouvement créoliste.

Patrick Chamoiseau, en plus de ces trois romans qui lui apportent la reconnaissance du public mondial, se consacre aussi à des ouvrages théoriques. De pair avec Jean Barnabé et Raphaël Confiant, il publie Éloge de la créolité (1989)[35], un manifeste et avec Confiant un essai sur la littérature antillaise de 1635 à 1975, Lettres créoles. Une enfance créole (en trois volets), Au temps de l’antan, respectivement une autobiographie et un recueil de contes créoles, puis en collaboration avec le photographe Rodolphe Hammadi, Guyane :  Traces-Mémoires du bagne[36]. Patrick Chamoiseau continue à développer une œuvre comprenant des romans et des écrits théoriques, quelquefois ces deux genres se trouvent entremêlés au cœur d’un même ouvrage. Une des constantes de ces ouvrages reste la recherche et l’élaboration identitaire où il prêche pour la « récupération de l’histoire antillaise »[37] car l’histoire – un concept flou en lui-même selon Milne – « a été imposéé, d’abord concrètement, à l’époque de l’esclavage, et ensuite métaphoriquement, à chaque fois qu’elle a été réitérée par des historiens ou ethnologues eurocentriques »[38].

Andreï Makine

De la même génération, Andreï Makine naît à Krasnoïarsk, en Sibérie l’année 1957[39]. C’est alors encore l’urss. Après avoir suivi des études de Lettres, il produit une thèse de doctorat à l’université Lomonossov de Moscou sur le roman d’enfance dans la littérature française contemporaine[40]. Il quitte son pays quelque temps après et il devient professeur de langue russe à Paris[41] où il dépose à l’Institut des études slaves de la Sorbonne une thèse de doctorat  sur l’écrivain russe Ivan Bounine[42]. Il écrit plusieurs romans La Fille d’un héros de l’Union soviétique (1990)[43], Confession d’un porte-drapeau déchu (1992)[44], Au Temps du fleuve Amour (1994)[45]. C’est avec son quatrième roman, Le Testament français (1995)[46] qu’il reçoit le prix Goncourt[47] et accède à la renommée internationale. La nationalité française lui est octroyée. Andreï Makine continue l’écriture de romans et délaisse presque entièrement la théorie littéraire. Seul un pamphlet, Cette France qu’on oublie d’aimer (2006)[48], fait encore montre de sa vocation théorique à l’état pur.

Andreï Makine publie ses romans en français, mais traite – dans ses premiers ouvrages –majoritairement de la Russie ou de la communauté russe. Les journalistes le nomment un écrivain russe à Paris. Cette image – établie à la consécration de son quatrième roman – reste collée à l’auteur jusque dans les ouvrages de critique littéraire. Andreï Makine se positionne, entre deux cultures, deux langues, mais un auteur russe qui écrit en français n’est pas a priori une exception. De nombreux écrivains, tels, Pouchkine, Tolstoï, Tourgueniev étaient francophiles et francophones. Plus près de nous, à l’époque contemporaine, d’autres Russes, naturalisés ou non, sous pseudonymes ou non, ont choisi d’écrire en français : Nathalie Sarraute, Hélène Carrère-D’Encausse, Henri Troyat, Romain Gary, Vladimir Fédorovski, Iegor Gran, Jean-Pierre Milovanoff, entre autres[49]. Si l’on considère le cas particulier d’Andreï Makine, il est de ce fait l’héritier d’une ancienne tradition[50].

Dans son premier roman, La Fille d’un héros de l’Union soviétique, Andreï Makine a inséré des mots russes[51]. Des notes de bas de page en donnent une traduction française. Par la suite, dans ses autres romans, les références à la langue russe sont toujours évidentes, mais majoritairement sans note. Parfois apparaissent des mots russes, en alphabet cyrillique ou bien en translitération, chargés de mettre une note de « couleur locale » voire folklorique. Chamoiseau, au contraire, bien que lardant ses écrits de mots créoles n’en donnera que très rarement la traduction, tout au plus une explication contextuelle à dériver pour le lecteur.

Relations au français

Pour Makine, inversement à Chamoiseau – comme relaté en détails dans son roman Enfance –aucun abandon de sa langue maternelle lorsqu’il entre à l’école. Selon Makine, l’apprentissage du français est un supplément en non une déchirure :

J’ai eu pour professeur cette française, comme vous diriez “purjus”, qui parlait un très beau français, pas encore souillé par les sabirs d’aujourd’hui, un français d’ailleurs très savoureux mais pas épuré : elle n’était pas du tout puriste, elle maniait tous les styles, tous les registres de cette langue, en passant des expressions très élevées, de grand style à des expressions plus gargarisantes, argotiques. Elle connaissait la totalité de cette langue que vous retrouverez d’ailleurs chez Proust. On se figure souvent, Proust c’est le début du siècle, la Belle Epoque, donc c’est une langue très classique. C’est faux. Si vous le relisez vous découvrirez toute une palette de parlers très différents, comme des dialectes. Une prostituée chez Proust ne parle pas la même langue que Swann, elle parle sa propre langue française, très populaire et savoureuse, incorrecte souvent. Exemple, elle dira “Ah si j’aurais su”. Voilà c’était ça, ce parcours qui a suivi le tracé laissé par les grands représentants de la littérature russe et de ce courant francophone et francophile.[52]

Le rapport à la langue d’écriture, le français, en est pour Makine un d’amour, même si parfois ses narrateurs doutent de la validité de cette langue :

Dans le train, je pensai à la langue qu’elle m’avait apprise. Ses mots, je le savais, ne pouvaient rien désigner dans le monde qui nous entourait. Je me souvins de Mouza, de sa beauté, de l’homme beige, du récit de l’élève qui les avait espionnés… L’un des derniers poèmes que j’avais découverts dans les ruines de la bibliothèque de Samoïlov parlait d’un couple d’amoureux batifolant dans “un pré de mille fleurs diapré”. J’éprouvai soudain presque un dégoût pour la minauderie de cette coulée de mots. Derrière la vitre du wagon s’étendait la monotonie de la steppe, sèche et rude, saignée par le couchant. J’avais donc appris une langue morte.[53]

Mais ce doute survient seulement une fois la langue apprise. Pendant l’apprentissage, c’est d’un tout autre sentiment dont il s’agit. Ainsi s’exprime ce même narrateur : « Le sentiment d’être enfin chez moi se mêlait imperceptiblement à cette langue étrangère que j’apprenais. L’alliage devenait si intense que, bien des années plus tard, le français évoquerait toujours pour moi un lieu et un temps semblables à l’atmosphère d’une maison d’enfance que je n’avais jamais connue[54] ». Car pour le narrateur, la langue française équivaut un cadeau inestimable : « Elle [Alexandra, une Française chez qui il passe ses congés] avait commencé à m’apprendre sa langue car, dans le dénuement de notre vie d’alors, c’était la dernière richesse qui lui restait et qu’elle pouvait partager[55] ». Selon Makine, la langue française remplace sans peine sa langue maternelle. Aucune différence notoire ne peut être faite entre langue seconde et langue première : « Bien des années plus tard, la différence entre la langue maternelle et la langue apprise deviendrait un sujet à la mode. J’entendrais souvent dire que seule la première pouvait évoquer les liens les plus profonds et les plus subtils – les plus intraduisibles – de notre âme. Je me souviendrais alors de l’amour maternel que j’avais découvert et ressenti en français, dans un petit livre tout simple aux pages marquées par le feu [dans ce roman, le narrateur découvre une bibliothèque ravagée par un incendie][56] ».

Pour Patrick Chamoiseau, il y a assurément deux langues bien distinctes en son espace linguistique : la langue matricielle et la langue seconde. Ce qu’il explique dans un entretien accordée à Marie-Françoise Chavanne[57] : « Donc il y avait cette langue sensible, émotionnelle, affective qu’était la langue que j’avais à la maison, et puis il y avait cette langue seconde que j’ai dû apprendre à l’école, que je connaissais, que j’avais déjà rencontrée dans l’espace social ou l’espace familial, mais qui n’avait pas cette même prégnance […][58] ». Pas question pour Chamoiseau d’occulter cette différence ; il la revendique haut et fort : « Mais je continuerai à faire une distinction entre ce qu’on appelle la langue matricielle et la langue seconde. La langue matricielle resterait le créole parce que c’est quand même la langue créole qui renvoie à tout un fond sensible collectif, à tout un imaginaire collectif […][59] ». Pour Chamoiseau, ces deux langues subissent des contraintes qui conduisent à écrire autre chose que ce que l’on voudrait. Ce qui a pour effet de contrer la littérature : « Les deux langues sont contraintes. La langue créole est contrainte parce que c’est une langue dominée ; et lorsque l’on essaie de s’exprimer, de faire de la littérature dans une langue contrainte, on a tendance à faire de la défense et de l’illustration. Et quand on fait de la défense et de l’illustration, on n’est pas en littérature[60] ». Cet effet de combat, de contradiction est de même ressenti dans la langue dominante : « Mais avec la langue contrainte dominante, c’est pareil. C’est-à-dire que la langue contrainte dominante, si elle n’est pas mise à distance, si elle n’est pas bousculée, si on n’a pas la capacité à l’investir avec un potentiel d’émotions absolument libres, on reste dans une mécanique de défense et d’illustration – moins de défense mais plus d’illustration[61] ». Chamoiseau explique cette réfutation comme un véritable champ de bataille linguistique : « Dans les pays colonisés, lorsqu’il a fallu organiser leur défense et leur libération, les hommes ont opposé à tous les attributs des colonisateurs leurs propres attributs qu’ils allaient rechercher dans leur passé et dans leurs traditions. Le champ de bataille s’est ouvert notamment sur le champ linguistique. Et là qu’est-ce qui s’est passé ? On a eu deux absolus qui s’affrontaient[62] ». Cet affrontement, résultat des souffrances coloniales subies par tout un peuple, Chamoiseau le fait ressentir à ses narrateurs :

Le négrillon dérouté, comprit qu’il ignorait cette langue. La tite-voix babilleuse de sa tête maniait une autre langue, sa langue-maison, sa langue-manman, sa langue-non-apprise intégrée sans contraintes au fil de ses désirs du monde. Un français étranger y surgissait en traits fugaces et rares ; il les avait entendus quelque part et il les répétait lors de circonstances mal identifiées. Un autre français plus proche, acclimaté mais tout aussi réduit, se tenait en lisière des intensités vivantes de sa tête. Mais parler vraiment pour dire, lâcher une émotion, balancer un senti, se confier à soi-même, s’exprimer longtemps, exigeait cette langue-manman qui, ayayaye, dans l’espace de l’école devenait inutile.[63]

Dans ses écrits théoriques, le même effet s’applique :

J’écrivais aussi des poèmes dans une langue française que je n’interrogeais pas. Elle ne me posait pas de problème. Elle était dominante, et de l’arpenter m’emplissait d’une certitude active qui semblait créatrice. Obéissant à la négritude césairienne, j’avais juste clarifié en moi le désir de la révolutionner, d’y charroyer le tam-tam nègre et le vieil amadou africain. Mais, à mon insu, la bousculant pourtant, je sacrifiais comme n’importe quel poète français à son espace symbolique. J’étais ainsi livré à son emprise, à l’adoption de ses valeurs. Mon appel à l’existence se coulait dans une langue qui sans doute me digérait.[64]

Le rapport de Chamoiseau au français est un rapport de force. Cependant, quoi qu’il fasse, la langue l’absorbe. Bien qu’il la violente, elle reste la plus forte, ce qu’il, par ailleurs, admet et décrit si minutieusement. Selon Milne, ceci dans un dessein particulier : « Ainsi [Milne réfère à Nora affirmant le passé comme un monde “dont nous sommes à jamais coupés”[65]], il paraît clair que l’objectif d’un écrivain engagé comme Chamoiseau est de faire appel chez ses compatriotes tant à un sentiment de différentiation identitaire face à l’assimilation française, qu’à un sens de la collectivité à travers l’idée d’une expérience commune »[66]. Ce désir d’écrire le français autrement est selon Robert Jouanny une des constantes rapprochant les écrivains francophones, comme il l’exprime dans Singularités francophones ou choisir d’écrire en français (2000) : « Que le désir d’écrire le français autrement soit sous-jacent dans l’écriture de tout écrivain francophone est un fait incontestable[67] ». Selon Jouanny, mais aussi selon bien d’autres, il s’agit d’écrivains dont le français est une langue adoptée pour l’écriture, mais non une langue maternelle, et regroupée sous le « drapeau » de la Francophonie. Ainsi, sur la Francophonie, Chamoiseau affiche des idées tranchées :

Il me semble qu’actuellement les générations d’enfants contemporains ont relativisé la question de la langue et que la langue a pris des distances quant à la notion d’identité, c’est-à-dire que la langue ne sert plus à définir une culture, une identité. Pour ces générations, la francophonie ne ressemble pas à une communauté culturelle. On peut, sous une même langue, avoir des réalités culturelles et anthropologiques différentes. Je suis plus proche d’un Saint-Lucien anglophone ou d’un Cubain hispanophone que n’importe quel Africain francophone ou Québécois francophone. Vous voyez, les langues, aujourd’hui, ont perdu leur pouvoir de pénétration, de structuration profonde d’une identité, d’une culture, d’une conception du monde.[68]

Mais cette perte d’élaboration identitaire par la langue, Makine, à l’opposé, la réfute. Selon lui, la langue façonne l’être : « Je pense qu’il existe des constantes. Sans parler de la France éternelle, on peut constater qu’il y a des choses qui ne bougent pas, des constantes de l’esprit national, du peuple et vous les retrouvez dans la culture, la littérature, la façon de voir les choses, la pensée ce que l’on pourrait appeler Francitude[69] ». Il s’agit d’écrire sans connotation directe à la morale ou à la religion. Makine s’en rend compte après avoir lu un télégramme de Lénine dans les archives  où celui-ci suggère de tuer en représailles « 100-1000 » personnes :

Je devais avoir à l’époque seize ans quand je suis tombé sur le texte de ce télégramme dans l’un des volumes des Œuvres complètes de Lénine. Je me suis imaginé alors justement ces neuf cent personnes que ce tiret désignait – des personnes très concrètes avec leurs faiblesses, leurs amours, leur passé, leur vie de simple mortel. J’ai imaginé aussi le type de surhomme révolutionnaire, mélange de Grand Inquisiteur et de Sokolovitch. Et je me suis dit, avec toute la naïveté de mon âge, le seul moyen de s’opposer à ce tiret, qui supprime neuf cent vies, c’est de parler de ce ciel grand, élevé et juste. Mais en parler en évitant le langage de la morale. Parler de ce ciel sans employer des termes religieux, évoquer le ciel sans le nommer Dieu. Et aujourd’hui je pense que cette façon de dire le ciel est la définition même du style.[70]

Le style évoque autre chose pour les deux auteurs. Pour Patrick Chamoiseau, génératrice de souffrance et de créativité, la langue reste à violenter. Dans ce dessein, il y introduit des vocables étrangers sans explication, sans traduction. Chez Andreï Makine, l’amour inconditionnel de la langue française, inculqué par les livres, détermine un choix libre de toute contrainte pour ses narrateurs et pour lui-même.

De fait, il est toujours intéressant de faire des analogies avant de les déconstruire. Ainsi, l’emploi de la langue française comme langue d’écriture et le couronnement par le  Goncourt rapprochent-ils très certainement ces deux auteurs. Mais ce sont peut-être les seules données qu’ils ont en commun avec le fait que leur ouvrage lauré traitent tous les deux d’une saga sur trois générations. Hormis cela, leurs rapports à la langue d’écriture sont diamétralement opposés et fondés sur les liens interculturels de leur lieu de naissance et la France, historiquement divergents. Deux écrivains francophones, certes, mais la Francophonie est un univers au mille pays et des myriades d’individus y évoluent. Comme Patrick Chamoiseau le réaffirme maintes fois, selon lui, parler le français est loin d’être suffisant pour être congénère[71]. D’un autre côté, comme le décrit Makine, écrire le français donne accès à la francitude, une donnée qui innerve les écrits des deux auteurs. Mais, cette francitude, comme nous venons de le voir, est un choix pour Makine alors qu’elle est infligée à Chamoiseau par la nature des relations entre leur lieu d’origine respectif et la France.

Bien entendu, aucun de ces deux auteurs ne détient la vérité absolue, mais leurs déclarations respectives quant à la manipulation du français et l’élaboration identitaire qu’elle apporte et influence nous démontre la complexité du phénomène à défaut de sa complétude ou son herméneutique. Si nous prenons en considération les différences de relations entre leur lieu de naissance, car on ne saurait parler sans plus de pays – Chamoiseau étant français de naissance et Makine par naturalisation –,  et la France – la Métropole pour Chamoiseau – nous pouvons comprendre que la différence de ces relations a fortement influencé les habitants de la Martinique et ceux de la Russie d’une tout autre manière. Une autre différence d’amplitude entre ces deux auteurs et leur rapport à la langue : celui de Makine est personnel, ne touche qu’un narrateur et sa découverte de la langue française ; par contre, Chamoiseau en fait une affaire de collectivité où l’individuel est érigé en universel car il parle au nom d’un groupe. Il serait erroné de tirer des conclusions pérennes d’une si brève étude, mais les questions posées sont très certainement encore plus importantes que les réponses. Peut-on encore parler de francophonie lorsque l’on voit les différences entre ces deux représentants non seulement antipodes scripturaux et géographiques, mais s’inscrivant dans une autre dimension historique ? Ne vaudrait-il pas mieux employer ce substantif au pluriel et parler de « Francophonies » ou bien le terme de « Francopolyphonies »[72] ne serait-il pas plus exact[73] ? C’est ce que cet article a tenté d’approcher en toute humilité. Patrick Chamoiseau et Andreï Makine se prêtent tout spécialement à ce raisonnement en reprenant simplement leurs propres paroles et leurs écrits respectifs, tributs essentiels à la littérature contemporaine, rappelons-le.

Notes


[1] P. Chamoiseau cité par L. Gauvin, L’Écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens, Paris, Khartala, 1997, p. 37.

[2] Par exemple, au Salon international du livre de Québec, le 18 avril 2008 à 16 heures, P. Chamoiseau et A. Makine se sont retrouvés lors d’un rendez-vous littéraire.

[3] Sur l’identité martiniquaise cf. l’ouvrage de la psychologue J. Lirus, Identité antillaise : contribution à la connaissance psychologique anthropologique des Guadeloupéens et des Martiniquais, Paris, Éditions Caribéennes, 1979, où l’auteur exprime l’élaboration de la conscience de soi par soi, une notion à laquelle revient fréquemment Chamoiseau dans ses écrits. Par exemple dans Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997, p. 224. Sur l’identité russe en littérature, cf. J. Neboit-Mombet, L’Image de la Russie dans le roman français (1859-1900), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005 ; C. Krauss, La Russie et les Russes dans la fiction française du XIXe siècle (1812-1917), D’une image de l’autre à un univers imaginaire, Amsterdam, Rodopi, 2007.

[4] P. Chamoiseau, Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997.

[5] P. Chamoiseau, Une enfance créole I. Antan d’enfance, Paris, Hatier, 1990.

[6] A. Makine, La Terre et le ciel de Jacques Dorme, Paris, Mercure de France, 2003.

[7] La Martinique est simultanément une région d’outre-mer et un département français. Elle fait partie de l’Archipel des Antilles, située dans la mer des Caraïbes à environ 450 kilomètres au nord-est des côtes de l’Amérique du Sud et environ 700 kilomètres au sud-est de la République dominicaine.

[8] Cette pratique est antérieure à la formation des Pays-Bas et le terme Néerlandais n’a pas lieu d’être.

[9] L’île est ainsi devenue française et l’est toujours (exception faite pour plusieurs périodes où elle fut sous domination anglaise). Pour les repères chronologiques relatifs à la Martinique, cf. M. Leiris, Contacts de civilisation en Martinique et en Guadeloupe, Paris, Gallimard, 1987.

[10] P. H. Boulle, Race et esclavage dans la France de l’Ancien régime, Perrin, Paris, Perrin, 2007.

[11] H. Grégoire et A. Césaire, De la traite et de l’esclavage des Noirs, Paris, Arléa, 2005.

[12] R.-M. Lemesle, Le Commerce triangulaire, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998.

[13] S. de Vajay, « Mathilde, Reine de France inconnue », dans Journal des Savants, Oct-déc. 1971, pp. 241-260.

[14] Ibidem.

[15] Pour les repères chronologiques relatifs à l’histoire de la Russie, cf. N. Brian-Chaninov, Histoire de Russie (1929), Paris, Fayard, coll. « Les grandes études historiques », 1937 ; A. Kraatz, Le Commerce franco-russe. Concurrence et contrefaçons de Colbert à 1900, Paris, Belles-Lettres, 2007.

[16] Sur l’esclavage, cf. O. Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières, Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004 ; H. Thomas, La Traite des Noirs, 1440-1870, Paris, Robert Laffont, 2006.

[17] P. Chamoiseau, L’esclave vieil homme et le molosse (1997), Paris, Gallimard, 1999, coll. « Folio », p. 45.

[18] Cette société fondée par Jacques-Pierre Brissot et Étienne Clavière avait pour but l’abolition immédiate de l’esclavage. Cf. L. Hunt, The French Revolution an Human Rights : A Brief Documentary History, Boston/New York, Bedfords/St. Martin’s, 1996, pp. 106-109 ; http://gallica.bnf.fr/ ark:/12148/bpt6k417108, consulté le 6 novembre 2007.

[19] P. Vigier, La Seconde République, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2001 ; I. Murat, La Seconde République, Paris, Fayard, 1987.

[20] Cf. D. Bona, Le Manuscrit de Port-Ébène, cité par M.L. Clément dans « Palimpsestes identitaires dans Le Manuscrit de Port-Ébène de Dominique Bona », Australian Journal of French Studies, volume XLIV, Number 1, 2007, p. 70.

[21] En 1887, le gouvernement français l’imposa à l’ensemble de ses colonies. En général, ce code assujettissait les autochtones et les travailleurs immigrés aux travaux forcés, à l’interdiction de circuler la nuit, aux réquisitions, aux impôts de capitation (taxes) sur les réserves et à un ensemble d’autres mesures tout aussi dégradantes. Il s’agissait d’un recueil de mesures discrétionnaires destiné à faire régner le « bon ordre colonial », celui-ci étant basé sur l’institutionnalisation de l’inégalité et de la justice. Ce code fut sans cesse « amélioré » de façon à adapter les intérêts des colons aux « réalités du pays ». Le Code de l’indigénat distinguait deux catégories de citoyens : les citoyens français (de souche métropolitaine) et les sujets français, c’est-à-dire les Africains noirs, les Malgaches, les Algériens, les Antillais, les Mélanésiens, etc., ainsi que les travailleurs immigrés. Les sujets français soumis au Code de l’indigénat étaient privés de la majeure partie de leur liberté et de leurs droits politiques ; ils ne conservaient au plan civil que leur statut personnel, d’origine religieuse ou coutumière.

[22] P. Chamoiseau, Écrire en pays dominé, op. cit., p. 286.

[23] Le 19 mars 1946, l’Assemblée nationale française adopte la loi dite d’assimilation, transformant la Martinique, La Guyane et la Guadeloupe en départements français. Ainsi, la Martinique devient un département d’outre-mer (DOM)

[24] Ibidem, p. 224.

[25] A. Makine, Le Testament français, Paris, Mercure de France, 1995, p. 48-49.

[26] Pour une très belle étude sur l’écriture de Chamoiseau, cf. L. Milne, Patrick Chamoiseau. Espaces d’une écriture antillaise, Amsterdam/New York, Rodopi, coll. « Francopolyphonies », 2006.

[27] La Martinique est un département français.

[28] Tout comme certains aiment à se prononcer auteurs bretons ou provençaux, ne serait-ce que l’esclavage ombre l’Histoire de la Martinique et distend, jusqu à l’occulter, cette similitude.

[29] Il s’agit dans le cas de Chamoiseau de « département natal ».

[31] P. Chamoiseau, Solibo Magnifique, Paris, Gallimard, 1988.

[32] P. Chamoiseau, Une enfance créole I. Antan d’enfance, op.cit.

[33] P. CHamoiseau, Chroniques des sept misères, Paris, Gallimard, 1986.

[34] P. Chamoiseau, Texaco, Paris, Gallimard, 1992.

[35] J. Barnabé, P. Chamoiseau et R. Confiant, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989 et 1993.

[36] Pour une analyse approfondie de cet essai, cf. G. A. Rivera, « Colonialism, Imprisonment, and Contamination in French Guyana : Leon-Gontran Damas’s Retour de Guyane and Patrick Chamoiseau’s Guyane : Traces-mémoires du bagne », thèse de doctorat, Department of Modern Languages and Literatures, University of Miami, 2006, 179 p.

[37] L. Milne, Patrick Chamoiseau. Espaces d’une écriture antillaise, op. cit., p. 63.

[38] Ibidem, p. 45.

[39] Andreï Makine est né en Union soviétique. Si la biographie de l’auteur reste dans le flou absolu, son origine russe rallie les avis.

[40] A. Makine, Roman o detstve v sovremennoi literature Francii (70-80 gody), Thèse de doctorat d’État (non publiée), Université d’État Lomonossov de Moscou, 1985.

[41] La date d’arrivée en France de Makine est située en 1987 par la critique.

[42] A. Makine, La Prose de I. A. Bounine, Poétique de la nostalgie, Thèse de doctorat d’État (non publiée), Paris IV, 1991.

[43] A. Makine, La Fille d’un héros de l’Union soviétique, Paris, Robert Laffont, 1990.

[44] A. Makine, Confession d’un porte-drapeau déchu, Paris, Belfond, 1992.

[45] A. Makine, Au temps du fleuve Amour, Paris, Éditions du Félin, 1994.

[46] A. Makine, Le Testament français, Paris, Mercure de France, 1995.

[47] Et le prix Femina ainsi que le Goncourt des lycéens.

[48] A. Makine, Cette France qu’on oublie d’aimer, Paris, Flammarion, coll. « Café Voltaire », 2006.

[49] Pour une histoire de la littérature russe cf. W. G. Weststeijn, Russische literatuur, Amsterdam, Meulenhoff, 2004 ; K. van het Reve, Geschiedenis van de Russische literatuur. Van Vladimir de Heilige tot Anton Tsjechov, Amsterdam, Uitgeverij van Oorschot, 1985 ; E. Etkind, G. Nivat, I. Serman et V. Strada eds, Histoire de la littérature russe, Paris, Fayard, 7 volumes, 1988 et suivantes.

[50] Sur les écrivains franco-russes, cf. G. Ghennady, Les Écrivains franco-russes, bibliographie des ouvrages français publiés par des Russes, Dresde, Imp. d’E.B. Blochmann & fils, 1874 ; M.L. Clément (ed.), Écrivains franco-russes, Amsterdam, Rodopi, 2008.

[51] Cf. M.-L. Clément, Andreï Makine. Présence de l’absence : une poétique de l’art (photographie, cinéma, littérature), Thèse de doctorat, Université d’Amsterdam, 2008, publiée.

[52] A. Makine. Entretien publié sur le net : http://www.purjus.net/litterature/chroniques.php3?review=23, consulté le 23 mars 2004, souligné dans le texte.

[53] A. Makine, La Terre et le ciel de Jacques Dorme, op. cit., p. 87.

[54] Ibidem, p. 49.

[55] Ibidem.

[56] Ibidem, p. 79.

[57] Cf. http://www.fabula.org/atelier.php?Langue_matricielle_et_langue_seconde, consulté le 5 juin 2006.

[59] Ibidem.

[60] Ibidem.

[61] Ibidem.

[62] Ibidem.

[63] P. Chamoiseau, Une enfance créole II. Chemin d’école (1996), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2005, p. 69.

[64] P. Chamoiseau, Écrire en pays dominé, op. cit., pp. 64-65.

[65] P. Nora, « Entre mémoire et histoire : la problématique des lieux », in P. Nora (ed), Les Lieux de mémoire, cité par L. Milne, Patrick Chamoiseau. Espaces d’une écriture antillaise, op. cit., p. 45.

[66] L. Milne, Patrick Chamoiseau. Espaces d’une écriture antillaise, op. cit., pp. 45-46. Bien que le terme « compatriotes » nous semble ici peut-être injustifié dans l’absolu, il est définitivement validé dans la mesure où Chamoiseau tente de créer une « identité séparatiste ».

[67]  R. Jouanny, Singularités francophones ou choisir d’écrire en français, puf, Paris, 2000, p. 139.

[68] L. Gauvin, L’Écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens, op.cit., p. 37. Nous soulignons.

[69] A. Makine. Entretien publié sur le net : http://www.purjus.net/litterature/chroniques.php3?review=23, consulté le 23 mars 2004.

[70] A. Makine, « Littérature : les avatars de l’absolu », Conférence Bacon à Harvard University le 12 Avril 2000.

[71] Cf. l’exergue de notre article.

[72] Terme emprunté à Rodopi et sa collection « Francopolyphonies ».

[73] Nous sommes conscientes de l’ambiguïté similaire dans le terme « littérature monde en français » et ne sommes pas les seules à l’interroger. À ce sujet, cf. l’appel à contributions pour le colloque à l’Université d’Alger . URL :  http://www.fabula.org/actualites/article23627.php.