Amour tragique…

« Amour tragique et tendre volupté. Transgression de l’interdit chez Andreï Makine », dans Annye Castonguay, Jean-François Kosta-Théfaine et Marianne Legault ed., Amour, passion, volupté, tragédie : Le sentiment amoureux dans la littérature française du Moyen Âge au XXè siècle, Biarritz, Atlantica Éditions, 2007, pp. 205-224

Le Crime d’Olga Arbélina (1998) [1] dépeint la relation d’une mère et de son enfant. Réfugiée de la révolution d’octobre, et abandonnée par son mari, Olga s’installe avec son fils à Villiers-la-Forêt où elle devient bibliothécaire. Narré par le gardien du cimetière où repose son corps, le récit encadré consiste en la révélation du comportement de son fils. Celui-ci ajoute à son insu un somnifère puissant à son infusion vespérale de houblons. Elle découvre de manière inattendue les faits et gestes de ce dernier alors qu’elle jardine près de la fenêtre de la cuisine. Après le dégoût et le déni, suivra la fascination de l’horreur et viendront, pour Olga, l’acceptation, la jouissance et la culpabilisation, pas nécessairement dans cet ordre.

Nous nous proposons de faire une analyse de ce « crime » tel qu’il apparaît à l’héroïne, et d’en rechercher les rapports synchroniques entre son inconscient et son entourage au fil de la diégèse. Pour ce faire, nous nous appuierons sur la définition de la synchronicité exprimée par C. G. Jung dans Synchronicité et Paracelsica (1988) [2]. D’autre part, nous établirons notre analyse du sentiment amoureux à l’aide de la théorie de Franscesco Alberoni, Le Choc amoureux (1981) [3].

Tomber amoureux serait : « L’état naissant d’un mouvement collectif à deux » [4]. Mais encore, Alberoni précise bien que ce « n’est ni un phénomène quotidien, ni une sublimation de la sexualité, ni un caprice de l’imagination » [5]. Or, dans le roman qui nous occupe, l’héroïne, en dernier ressort, subit les effets de son imagination défaillante. Elle sombre dans la folie : ce qu’elle vit est loin d’être une relation ordinaire ou anodine. Si tomber amoureux est un mouvement collectif à deux comme l’affirme Alberoni, dans ce roman, nous voyons ce mouvement du point de vue d’Olga. Durkheim a analysé les mouvements collectifs : « L’Homme qui les éprouve a l’impression qu’il est dominé par des forces qu’il ne reconnaît pas comme siennes, qui le mènent, dont il n’est pas le maître » [6]. Cette définition traduit, on ne peut mieux, les sentiments d’Olga tels qu’ils sont décrits. Elle se sent inapte à réagir contre l’interdit. Cet interdit qui lui répugne, la révulse, exerce une attraction sur elle : l’horreur la fascine [7]. L’extraordinaire prime sur le quotidien illustrant que « dans la vie quotidienne, on est bien rarement blessé par des furieux ou tué par des assassins » [8]. Il n’est ni furieux ni assassin celui qui la blesse : il est son fils.

Sa vie se trouve plongée dans un nouveau registre de valeurs où d’autres lois ont cours. Malgré l’horreur qui la submerge, Olga garde intact son amour pour son fils. Elle lui trouve des excuses. La principale d’entre elles est sa maladie. Qu’il soit atteint d’hémophilie menace sa vie. En cela, les rapports sexuels avec sa mère seront peut-être les seules amours charnelles qu’il connaîtra avant de mourir. Il reste parfait à ses yeux. Son acte n’est nullement empreint de criminalité. Elle pense être la criminelle, non lui :

Criminel… Elle le répétait sans cesse durant cette nuit blanche. Criminel était le silence qu’elle avait gardé. Son acceptation. Sa résignation. Criminelle aussi cette nudité adolescente, dissimulée sous un long manteau d’homme. Criminelle toute cette nuit… [9]

Bien qu’elle sache son fils coupable, c’est surtout son propre silence qu’elle considère criminel. Ce qu’elle note de criminel en lui est sa nudité. Mais elle jouit de cette nudité. Par ce biais, il s’agit donc de sa propre jouissance qu’elle condamne. Ce processus est un processus commun dans le cas d’une passion amoureuse. Il est même vital car « grâce à cette élaboration, l’objet d’amour garde le plus possible les caractères d’un objet d’amour » .[10] Or, Olga aspire à l’amour dont elle a été privée. Elle désigne son mari, qui l’a délaissée, la privant ainsi de l’amour auquel, dans son optique, elle avait droit, comme le véritable coupable de la situation dans laquelle elle se trouve à présent :

Un homme, beau et d’une carrure de géant, montait dans un taxi. Le coupable. Son mari… Avant de glisser dans la voiture, il se retournait et, devinant avec une précision impitoyable la fenêtre derrière laquelle elle suivait, en cachette, son départ, la saluait à la militaire, en signe d’adieu bouffon. Et les jours suivants, dans l’entrée de cet appartement parisien, un enfant travesti en soldat se mettait au garde-à-vous, et guettait les pas familiers dans l’escalier… [11]

Que son mari l’abandonne, la laissant seule avec son fils, crée une situation dans laquelle ce dernier prend la place de son père, remplit le vide laissé par son absence  dans le lit de sa mère. L’absence du père est aussi l’absence de la fonction parentale qu’il aurait dû remplir : « aider la mère et l’enfant à se séparer » [12]. Au lieu de cela, son absence les rapproche de manière incontestable.

« Quand on tombe amoureux, on continue longtemps à se répéter à soi-même qu’on ne l’est pas » [13]. C’est exactement le comportement d’Olga. Inlassablement, elle se persuade ne pas être amoureuse. Or, elle l’est bel et bien au sens courant du terme et de plus, jouit-elle de la venue de son fils plusieurs nuits consécutives :

Cette fois ce fut une caresse, une bouffée dense, piquante qui sinua en remontant vers sa poitrine et s’enflamma dans sa gorge… Deux autres nuits répétèrent le même spasme, le même embrasement de l’air qu’elle respirait. Sa surprise diminua et, durant la troisième nuit, devint une sorte d’inavouable prévision qui prépara son souffle, modela son corps… Elle n’avait plus besoin de mourir pour se donner à lui[14].

Cette jouissance, cette relation est condamnée par la société. Elle le comprend sans le comprendre vraiment, incapable de se faire une représentation de l’événement. « L’inceste réalisé prévient la représentation de l’inceste » [15] et la démunit de son pouvoir de réflexion. Simultanément à sa compréhension naissante de la situation, tourbillonnent en son esprit les images et les idées chaotiques, processus précurseur de la démence dans laquelle elle sombrera définitivement plus tard :

Devinant tout, ne comprenant encore rien, elle vit sous ses paupières s’assembler des fragments dispersés : ces doigts en voltige au-dessus des fleurs de houblon infusées, les trois photographies de la femme nue, la porte ouverte la nuit où elles avaient été prises, deux jours passés chez Li, l’avortement… Ses yeux noyés dans l’épaisseur cotonneuse du vertige discernaient déjà avec horreur le sens de cette mosaïque désassemblée. Mais la pensée, engourdie par la montée du sang, se taisait [16].

Il lui est impossible de dénommer le comportement de son fils. Cela se comprend aisément puisque la société et la loi extradiégétiques montrent aussi quelques difficultés de ce côté-là.

L’expression « abus sexuel » ne fait pas partie du vocabulaire quotidien ni du vocabulaire juridique tel qu’il est stipulé dans le code pénal français. D’autre part, il est dit que « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » [17]. Les agissements du fils d’Olga ne ressortissent pas exactement à cette dénomination. Encore moins le comportement d’Olga. Nous y reviendrons plus tard. Par contre, le viol, défini comme « acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit (art. 222-23) […] est un crime qui est jugé aux assises. Il est catalogué avec l’attentat à la pudeur et l’outrage public à la pudeur sous la dénomination d’ « atteintes contre les personnes » » [18]. Le terme d’ « inceste » ne figure pas en tant que « catégorie juridique, mais le crime de viol est considéré comme aggravé si l’agresseur est un « ascendant légitime, naturel ou adoptif » (art. 222-28) » [19]. Après ces précisions juridiques, Hélène Parat rappelle que « les cas de relations sexuelles entre adultes et enfants rentrent toujours dans le registre des agressions sexuelles, mais, selon les pays, le lien de filiation est ou n’est pas considéré comme une circonstance aggravante » [20]. Edward Westermarck signale qu’ « il n’y a pas de loi qui permette le mariage entre parents et enfants, ou entre frères et sœurs. Même la Loi soviétique sur le Mariage et la Famille, qui est la plus libérale de toutes les lois modernes, interdits ces unions » [21]. D’autre part, Robin Fox explique qu’il est nécessaire de faire explicitement la distinction entre lien du mariage et activité sexuelle.

Il est évident que le crime d’Olga est condamné par la société sans exactement le nommer. Toutefois, nous sommes témoins, en tant que lecteur, d’une certaine activité sexuelle entre la mère et le fils. De mariage, il ne saurait être question. À ce sujet, après avoir parlé des liens du mariage évoqués par des auteurs aussi divers que Jones, Robertson Smith, Montesquieu et Freud, Westermarck rapporte une question de Sir James Frazer : « Pourquoi le mariage d’un frère avec une sœur ou d’une mère avec son fils excite-t-il le plus profond dégoût ? » [22]. Une question sans réponse satisfaisante, mais balaie du faisceau de l’ordinaire la première réaction d’aversion exprimée par Olga. Au sujet de la répulsion, Robin Fox réfère, non au commun des mortels mais, à certaines familles royales et sectes religieuses, lorsqu’il écrit : « l’horreur de l’inceste n’a rien d’universel et de nombreuses sociétés n’ont nullement éprouvé le besoin d’instituer des sanctions sévères pour s’en garder ; il en est qui pratiquent l’inceste et d’autres encore qui manifestent à son égard une très réelle indifférence » [23]. Quoi qu’il en soit de l’aversion de la société vis-à-vis de l’inceste, dans la diégèse, nous avons affaire à l’horreur qu’éprouve Olga, celle de la société apparaissant par l’entremise de ses pensées et son penchant.

Frazer, qui rappelle que « la découverte de l’exogamie est due à Lathan, même si on l’attribue généralement à Mc Lennan » [24], soulève le rapport entre la loi et l’instinct :

Nous pouvons supposer avec certitude que les crimes défendus par des lois sont des crimes qu’un grand nombre d’hommes ont une propension naturelle à commettre. Si le penchant n’existait pas, il n’y aurait pas le crime, et si de tels crimes n’étaient pas commis, quelle serait la nécessité de les interdire ? Donc, au lieu d’admettre, d’après la prohibition légale du crime d’inceste, qu’il y a une aversion naturelle contre l’inceste, nous devrions au contraire supposer plutôt qu’il y a un instinct naturel en faveur de cela, et que si les lois le répriment, comme elles répriment d’autres instincts naturels, elles le font parce que les hommes civilisés en sont venus à conclure que la satisfaction de ces instincts naturels est au détriment des intérêts généraux de la société [25].

En cela, Fox voit un argument « fallacieux » et « fort courant bien que généralement non explicité, selon lequel faute d’un interdit sur les relations incestueuses les gens choisiraient délibérément de s’y livrer » [26]. De ce qui précède, il nous est impossible de conclure à la narration d’une relation ordinaire dans la diégèse.

Qu’Olga tombe amoureuse de son fils après l’avoir entouré de son amour maternel est donc strictement réprouvé par la société. La naissance d’un enfant né de leur union ne doit pas avoir lieu. La scène d’avortement et le calcul d’Olga, déroutée par les dates, le laisse clairement entendre : socialement, un homme ne doit pas être le frère et le père du même enfant simultanément. Biologiquement, il le peut. Sur cette possibilité pèse un interdit. Un tabou. Robin Fox se refuse à l’envisager. Cette théorie, nous dit-il « ne tient pas compte du fait qu’une personne ne peut être qu’une personne à la fois » [27]. Or, là réside le problème principal d’Olga. Elle doit assumer simultanément deux rôles différents. Celui de mère et celui d’amante du même adolescent : son fils. Cette situation explique partiellement la confusion mentale qui l’assaille. Nous savons depuis Totem et tabous (1912) [28] que le monème /tabou/ est à l’origine un adjectif. Dans ce sens, la mère est sexuellement tabou. Tout ce qui est tabou doit être respecté. Dans la diégèse, il s’agit de non-respect de la mère par le fils.  Le fils commet « une agression sexuelle » par surprise et manque de respect.

La surface de l’infusion, miroir aquatique dans la petite casserole de cuivre, révèle la présence presque invisible de la poudre blanchâtre. Somnifère puissant, reflet des sentiments inavoués et inavouables du fils pour sa mère. La fine pellicule est comme le film qui ternit et assombrit les pensées qu’elle se refuse à formuler, l’indicible. Elle observe les feuilles de houblons qui ressemblent à une peau humide, réminiscence d’une pensée qui lui répugne. Elle ne peut ni laisser se former en son esprit les mots qui décrivent l’événement ni ignorer la poudre blanche, la poussière du crime. Une poudre non miscible qui flotte à la surface avant de se déposer au fond de la tasse comme un limon maléfique. Cet élixir, au lieu de lui faire trouver le calme et le sommeil, lui révèle l’abomination d’une situation inexprimée et inexprimable, puisque condamnable et condamnée par la société. L’indicible envahit sa vie :

Au cours d’une soirée claire et fraîche de l’arrière-saison, dans un moment de grande sérénité, elle surprendrait son fils près de ce petit récipient en cuivre dans lequel se décantait son infusion de fleurs de houblon. Elle l’apercevrait figé dans cette attente brève et crispée qui suit un geste qu’on veut à tout prix secret. Oui, cette fixité hypnotique qui s’intercale entre ce geste dangereux ou criminel et la décontraction exagérée des mouvements et des paroles qui viennent après. Ce qu’elle croirait alors deviner lui paraîtrait d’une monstruosité si invraisemblable qu’instinctivement elle reculerait de quelques pas. Comme si elle avait désiré remonter le temps, en pressentant déjà que le retour à leur vie d’autrefois devenait, à cet instant-là même, impossible [29].

Elle ne peut se résoudre à le croire. Néanmoins, ses doutes sont dissipés un soir où elle comprend que « la poudre que l’adolescent déversait dans l’infusion n’avait pas eu le temps de se dissoudre et que, pressée de démentir son horrible intuition, elle avait avalé le liquide sans l’avoir brassé…» [30]. La poudre s’est déposée au fond de la tasse et reste sans effet. Elle surprend son fils lorsqu’il vient la violer. « Quand il pénétra dans la chambre, ce fut pour elle l’ultime instant de conscience. L’instant où le nageur qui se noie parvient, pour la dernière fois, à revenir à la surface et revoie le soleil, le ciel, sa vie encore si proche… » [31]. Enfin, elle comprend. Elle ne peut plus s’interdire de comprendre : « Tout était trop évident : ce récipient en cuivre, une main qui le survole, avec la nervosité précise d’un acte criminel, en secouant un petit rectangle de papier sur le liquide brun, son ombre qui s’éloigne déjà du fourneau, pivote, se réfugie dans une pose expressément neutre » [32].

Devant ces évidences, Olga cherche fébrilement des excuses à son fils hémophile. Elle feuillette l’encyclopédie et tombe sur l’image d’un serpent. Quelques jours plus tard, à son arrivée à la bibliothèque, installée dans une ancienne distillerie à bière, le grincement de l’engrenage, immobile depuis des années, se fait entendre. La chaîne, attachée à la roue, remonte un baquet rouillé. Au lieu de l’eau limpide, claire, nécessaire à la fabrication de la bière, il ramène à la surface une vase pestilentielle. Nous reviendrons  sur ces deux événements.

Selon Parat, l’interdit de l’inceste est bien universel, mais ses formes sont universellement différentes. Au-delà des querelles et des découvertes, « l’inceste le plus rare cliniquement, mais également le plus proscrit : l’inceste entre mère et fils » [33]. C’est précisément d’une telle relation dont il s’agit dans la diégèse, quelle qu’en soit la dénomination. Le fils endort sa mère afin de la rejoindre le soir où elle a sombré dans un sommeil artificiel et profond que lui procure la drogue. « Mais quelles que soient les variations des règles et des nominations, l’union entre mère et fils, père et fille, ou sœurs et frères biologiques n’est-elle pas considérée comme un inceste, n’est-elle pas toujours abhorrée ? » [34]. C’est parce que cette relation est proscrite que sa découverte horrifie Olga. Le comportement de son fils tisse la mort et l’amour dans une trame serrée qui finit par étouffer l’héroïne dans un carcan de démence.

Alors qu’elle prend conscience de  la nature de leurs rapports, l’hiver recouvre de glace l’étang que forme un bras de la rivière :

La surface du petit étang était recouverte de glace, seule une percée, moins large qu’un pas, faisait apparaître l’eau libre, noire. Et ce vernis sombre était rayé de mouvements incessants, de brèves secousses frénétiques, puis d’une lente rotation ensommeillée. Parfois, dans le reflet liquide de la lune, les écailles brillaient, on voyait se dessiner des nageoires, les plaques argentées des ouïes… [35]

Emprisonnés dans la glace qui risque, sous l’effet du gel persistant, de se refermer complètement sur eux et de les faire ainsi périr, les poissons métaphorisent les vies d’Olga et de son fils que l’inceste, mais surtout le crime qu’il signifie dans le regard sociétal, englue dans une relation suffocante et mortifère. La situation des poissons est similaire à la leur. La glace, l’étau qui lui enserre le cœur et l’esprit, se resserre jusqu’à la briser. Elle repère dans son entourage des signes qui lui rappellent sa situation. C’est le cas alors qu’elle est seule dans sa chambre.

La neige éclaire la nuit d’une « lumière cendrée, envoûtante » [36]. Olga écarte ses rideaux pour en faire pénétrer la blancheur à l’intérieur. Alors, « la chambre sembla coupée en deux moitiés, l’une baignée d’une blancheur lactée, l’autre plus noire que d’habitude » [37]. Cette image, scindée en deux, illustre la dichotomie de la réalité diégétique dans laquelle Olga se débat. D’un côté, son fils encore enfant, pur, innocent, comme la neige immaculée dont le reflet jaspé envahit sa chambre. De l’autre, l’adolescent devenu homme qui la viole la nuit au gré de son désir masculin. Le noir de la chambre est l’obscurité qui dissimule le secret qu’elle se refuse à voir. Ce secret dont la noirceur l’accable. Ni l’une, ni l’autre de ces images n’est la réalité. Elles se bousculent simultanément en son esprit et la font se mouvoir en un univers kaléidoscopique où la virtualité et la tangibilité se mêlent et lui échappent, l’étourdissent dans une ronde infernale et restent hors de portée du compréhensible:

Elle revit le reptile rond, gonflé de sang. Il fallait tout de suite comprendre comment la bête avait pu pénétrer dans sa vie, dans leur vie. Elle sentait déjà les premières bouffées du sommeil enfumer sa vue. Il fallait comprendre. Sinon le réveil serait impensable. Se réveiller pour quelle vie ? La vivre comment ? Comment vivre aux côtés de cet être mystérieux qui venait de traverser le couloir à pas furtifs ? Il fallait, en ces quelques dernières minutes de veille, trouver le coupable. Désigner la personne, le geste, le jour qui avaient gauchi le cours normal des choses [38].

Toutefois, malgré l’évidence, Olga persiste à se cacher la vérité qui doit rester ignorée de tous. Ainsi que nous l’avons plus haut, elle désigne son mari comme le coupable responsable de sa situation.

Au cours d’une marche dans la campagne, la douceur de l’air lui laisse reprendre espoir. La glace fond et distille des gouttelettes de givre fondu. Le carcan de terreur qui l’emprisonne cède légèrement. Elle respire à nouveau librement. Les diamants des cieux ruissellent sur l’onde spéculaire d’une flaque qui garde l’empreinte d’un pas où la lune se reflète. Éphémère plaisir de l’évanescent souvenir. Ses pas la ramènent vers son logis par un détour inhabituel :

C’est pour éviter le chemin habituel noyé sous la neige poreuse du dégel qu’elle rentra, ce jour-là, en contournant la gare, et arriva à la Horde du côté opposé. Un train passa, elle continua sa route d’une traverse à l’autre, en entendant longtemps la vibration décroissante des rails. Puis la voie bifurqua. Celle, l’ancienne, qui desservait autrefois la fabrique de bière, s’enlisa bientôt dans un butoir… [39].

Le butoir, obstacle infranchissable, qui, s’il est dépassé, engendre le déraillement, surgit devant elle. Métaphore de sa vie, les rails de chemin de fer ne peuvent aller plus avant. Sa vie est bloquée. Au loin, le soleil perce les nuages et éclaire la ville alors qu’auprès du butoir où elle s’accoude un moment, il fait « presque sombre ». Olga se trouve seule au bout de ce chemin oublié qui ne mène nulle part. Métaphore du chemin que les humains ne doivent pas prendre, celui des mythes de l’origine, le chemin de l’inceste. En effet, dans un grand nombre de mythes fondateurs, la thématique de l’inceste inévitable se déploie de manière récurrente comme l’unique possibilité de la multiplication de la population humaine. Adam et Eve, le mythe d’Hésiode, les mythologies grecques avec, entre autres, Nycthémère. L’inceste des dieux était toléré, celui des pharaons, obligé mais, celui des humains est « celui qui induit la mort des protagonistes, mort infligée ou mort décidée, mort inévitable décrétée par les dieux, ou prescrite par les humains » [40]. Or, ce butoir de l’inceste, en le dépassant, Olga a signé son arrêt de mort. Ce sera pour elle la mort psychique. La folie qui lui embrume le cerveau est la mort qu’elle choisit de s’infliger. Tel est le prix de son silence.

Au fur et à mesure qu’Olga prend conscience de sa situation incestueuse, la neige immaculée se transforme en boue et elle bute dans la : « neige souillée contre le rebord du trottoir » [41]. La neige reflète son état d’esprit, la souillure qu’elle ressent. À nouveau, elle erre dans les rues. Cette fois-ci, non plus pour fuir la réalité de la révolution mais, celle de la situation qu’elle ne peut assumer. Elle pénètre dans l’espace virtuel de la folie :

Elle comprenait maintenant que le jeune homme avait surgi au moment du vertige, le visage et le corps mûris par l’horreur de la mosaïque qui avait révélé l’impensable. Oui, ce très jeune homme mince, pâle, avec le reflet transparent, presque invisible de la toute première moustache, appartenait au monde de la mosaïque qui, au contact de la pensée, se transformait en un reptile luisant, aux yeux vitreux, indéchiffrables. Le monde qui horrifiait mais ne se laissait ni penser ni dire [42].

Sa promenade terminée, Olga revient brusquement à la réalité. Dans l’entrée, les chaussures de son fils lui apparaissent indécentes : « Cette paire de chaussures se transformait maintenant sous son regard en quelque chose d’indécent, d’ambigu… » [43]. Elle passe la main dans la chaussure : « à la recherche d’un clou dont la pointe pouvait provoquer un saignement » [44]. Ce geste qu’elle a tant de fois accompli, elle ne peut le terminer. Un cri s’échappe de sa gorge : « Il était en moi ! » [45]. Ce geste la confronte à l’évidence de sa relation incestueuse :

Olga eut une parcelle de seconde pour comprendre… Mais le reptile gonflé de sang éclatait, lui brûlant la nuque, figeait sur ses lèvres un cri. La mosaïque resta brisée : trois photos, la porte ouverte, elle, toute nue, debout, l’infusion qui donnait parfois un sommeil si long. Ce fut comme un mot oublié qui laisse entrevoir, un instant, ses lettres, sa tonalité et disparaît immédiatement, en offrant juste la certitude de son existence.

Oui, ce reptile gluant, bouffi d’un sang brun existait. C’est lui que sa pensée éclaircie retint, telle la preuve d’une folie momentanée. Et même la voix de la « petite garce » s’était tue, terrifiée par ce qui venait de se laisser deviner.

Son regard était à présent fixé sur le jeune inconnu qui, dans la cuisine éclairée, feuilletait nonchalamment un cahier ouvert sur la table. C’était son fils ! [46].

C’est de son fils dont il s’agit. Non d’un jeune inconnu quelconque. Elle en devient pleinement consciente et ne peut plus en occulter les implications. Le geste d’enfouir la main dans la chaussure la réveille brutalement à la réalité quotidienne abhorrée.

La révulsion contre l’acte subi produit chez Olga la vision d’un serpent monstrueux qui enserre son cerveau et prend possession de ses pensées. Ce monstre n’est pas sans rappeler le « cas François » cité par Hélène Parat [47]. Il s’agit d’un homme victime d’inceste dans son enfance. En proie à des crises d’angoisse, il voit un monstre gluant prêt à l’attaquer. L’angoisse qui l’étreint est liée à l’idée de la pénétration par le père. Dans le cas d’Olga, cette idée de la pénétration par le fils, refusée avec horreur, fait aussi ressurgir le souvenir du viol qu’elle a subi dans sa jeunesse. L’homme qui tue son agresseur est le Prince Arbéline qu’elle retrouvera fortuitement une fois arrivée à Paris et épousera.

Le viol dont elle a été la victime, la fuite de son pays natal virevoltent en souvenirs dans sa mémoire. Avec les aléas de la maladie de son fils, ils lui forgent une existence chaotique, psychotique. Or, ce fonctionnement ou dysfonctionnement psychotique de la mère est souvent à l’origine des relations sexuelles entre une mère et son jeune fils : « L’inceste mère-enfant est rare sous forme d’actes génitaux caractérisés et les relations sexuelles entre un adolescent et sa mère sont souvent le fait de mères au fonctionnement psychotique » [48]. Pour l’écrire clairement : Olga n’a plus toute sa tête. À partir du moment où elle prend conscience de l’inceste, elle est en proie à l’angoisse, traduite par le serpent étouffeur. Elle a dépassé le butoir qui la protégeait de l’impensable. Ce phénomène s’explique de la manière suivante : « Le refuge du clivage cède, l’angoisse de l’engloutissement qui est liée à l’idée refusée avec horreur, de pénétration » [49] surgit alors dans l’esprit de l’agressé.

Au plus profond de son être, Olga sait pertinemment que la dimension compositionnelle de leur relation est désapprouvée par la société. Après cet amour naissant, elle ne peut plus se contenter d’agir selon les apparences et se comporter uniquement en mère. Son moi est incapable de se satisfaire de la copie des gestes quotidiens sans valeur profonde :

« Aucun geste ne sera plus anodin », répéta en elle un écho chuchoté. Et rapidement, sans qu’elle pût y opposer la moindre résistance, la mosaïque vue pendant le vertige se mit à rassembler ses fragments : une main anxieuse qui survole le fourneau, le chat qui sur le premier cliché surveille une femme endormie, la porte ouverte par laquelle l’animal a pu se glisser, ce jeune homme qui vivrait désormais sous le même toit qu’elle… Elle sentit s’enfler dans sa tête une grosse bulle de peau glaireuse, bossuée. Le reptile… La mosaïque se composait de plus en plus vite : la main au-dessus de l’infusion, son sommeil de mort certains jours, cet enfant qui avait la même taille qu’elle, ce crayon orange… Encore un tour et ces éclats allaient se figer dans une certitude sans issue… [50].

Respecter les gestes appris dans la nonchalance avant la prise de conscience se révèle impossible. Elle ne peut non plus aspirer à ce que cette relation marquée du sceau de l’interdit continue. La légitimation reste hors de portée bien qu’elle se prenne à l’espérer avec nostalgie : « Un jour, avec une joie qui cribla ses tempes de mille battitures brûlantes, elle eut cet espoir insensé : peut-être ce qu’elle vivait pouvait aussi, un jour, être avoué ? » [51].

D’un autre côté, comme nous l’avons constaté, elle jouit. Pour s’en défendre, la haine de son fils en tant que violeur est impossible également, puisqu’il est son fils. Pour échapper à la pétrification, la seule structure catégorielle restante est la folie. Seul l’abîme de la démence peut encore la protéger d’une vérité trop douloureuse et lui offrir le refuge nécessaire à sa survie. Continuer à vivre si ce n’est à exister. Les limites institutionnelles imposées à l’amour maternel par la société, Olga les a transgressées. Dans une ultime tentative d’auto défense, elle souhaite être dans le droit et la santé psychique :

C’est alors, la vue fixée sur cette nuit ascendante, qu’elle imagina la terre tout entière, ce globe, ce monde habité d’hommes. Oui, tous ces hommes qui parlaient, souriaient, pleuraient, s’étreignaient, priaient leurs dieux, tuaient des millions de leurs semblables et, comme si de rien n’était, continuaient à s’aimer, à prier, à espérer, avant de traverser la mince couche de terre qui séparait toute cette agitation de l’immobilité des morts.

La parole qu’elle s’entendit chuchoter l’étonna moins que le petit voile de sa respiration qui brilla dans un rayon de lune : « Ce sont eux qui vivent dans la folie la plus complète. Eux, là-bas, sur leur globe… » [52].

Dans leur étude Alledaags misbruik, Ervaringen met slachtoffers, daders en ouders (1997) [53], Mathias Wais et Ingrid Gallé dévoilent les tactiques employées par les violeurs d’enfants pour isoler leurs victimes. L’isolement est une des conditions requises pour placer l’enfant, s’il ne l’est déjà, dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’adulte. Or, dans la diégèse, il s’agit d’un fils qui abuse de sa mère. Toutefois, la structure de l’isolement est reproduite. Le fils d’Olga peut s’épargner la peine d’avoir à la construire. Le fils et la mère vivent isolés dans leur maisonnette à la périphérie du village.

Olga soutient son fils dans son comportement. Une des raisons en est leur jouissance indéniable, réciproque et simultanée :

Ce soir-là, il se leva avec une telle précipitation qu’elle se raidit en croyant s’être inconsciemment trahie. Un peu de lumière distillait à travers ses cils. Elle le vit debout, entre la porte et la fenêtre, le corps tendu en arc, les épaules et la tête rejetées en arrière, les paupières fortement plissées… Elle le regardait, ne se cachant plus dans le sommeil, le souffle étranglé par la pitié, par l’angoisse. Il écrasait de ses mains le bas de son ventre et ces mains, refermées comme sur une proie, étaient secouées de rapides battements. Son visage levé exprimait à présent, sous la même grimace de douleur brutale, une sorte de prière, une supplication adressée à quelqu’un que seuls ses yeux fermés voyaient. Sa bouche, par saccades, avalait l’air avec un rictus qui découvrait ses dents. Ses mains croisées l’une sur l’autre se crispèrent plus violemment, une convulsion, puis une autre parcoururent son corps – il ressembla à un papillon qui se débat contre une vitre… [54].

Olga se rend compte que pour son fils aussi leur relation incestueuse est une voie sans issue bien qu’il en soit aussi inconscient qu’un papillon de la vitre contre laquelle il se cogne. Dans son amour maternel, elle comprend la souffrance de l’adolescent qui sait porter en lui les germes d’une maladie inguérissable. C’est une des raisons pour laquelle elle accepte progressivement la transgression de l’interdit le plus indicible : la jouissance dans l’union charnelle d’une mère et son fils :

Son corps, depuis plusieurs nuits déjà, avait appris à se donner tout en paraissant immobile, à éviter la rupture brutale, à préserver cette lente décantation qui sépare insensiblement les corps qui ont joui… Cette nuit-là, elle trouva la mesure de cette séparation silencieuse : une tempe, suivant l’épuisement du corps, s’appliqua, un instant, sur ses lèvres. Une veine battait, affolée. Dans ce baiser involontaire, elle sentit les pulsations s’apaiser peu à peu… [55].

Ce fils répond au canevas de nos attentes. Il est l’homme qui prend par la force ce dont il a envie, si ce n’est dont il a besoin. Qu’il drogue sa mère est un acte de violence. Dans cette optique, son acte est « une agression sexuelle commise avec violence ». Par ce geste, il prend avantage de la situation, de l’amour maternel indéfectible qui porte Olga à l’abnégation de soi-même.

En considérant ce qui précède, il devient malaisé d’établir la part de responsabilité d’Olga dans l’événement. À quel moment exactement glisse-t-elle de l’horreur vers la fascination puis la jouissance anticipée et le plaisir ? En tant que mère elle se sent  coupable de ne pas avoir érigé la limite infranchissable pour son fils :

Si elle n’avait pas deviné le secret de ce marquage au crayon orange, elle serait certainement intervenue le lendemain soir lorsqu’elle surprit de nouveau ce très jeune homme, fragile et aux mouvements de danseur, qui virevolta près du fourneau.

Le jeu de cet inconnu répéta avec la fidélité d’une hallucination la scène déjà vue : une rapide palpitation de sa main au-dessus du récipient en cuivre, une volte-face vers la table, vers le cahier prétexte, une seconde d’immobilité, une nonchalance exagérée des doigts qui feuilletaient les pages…

Oui en remarquant cette voltige de mouvements à travers la porte entrouverte de la salle de bains, elle l’aurait interrompu par un cri de blâme, un rappel à l’ordre. Non, plutôt par quelques paroles insignifiantes, pour lui éviter la honte.

Elle resterait muette. Et pourtant la ressemblance avec le soir de septembre, le soir du jardinage, fut totale. À une nuance près peut-être : cette fois, elle ne mit qu’un instant à reconnaître en ce jeune inconnu son fils. Oui, un instant, le temps d’étouffer le cri sur ses lèvres, de le transformer en paroles anodines et, enfin, en silence. Mais surtout, cette fois, il n’y eut plus de doute [56].

Ce qui l’incite au silence sont les marques de crayon orange dans l’encyclopédie médicale. Elles lui signalent la lecture de son fils, sa connaissance de la maladie qui le ronge. Et la maladie, l’hémophilie, rend Olga protectrice au superlatif. D’autre part, elle se sent coupable d’avoir accepté, puis joui de la transgression de l’adolescent, de l’avoir attendue, recherchée peut-être :

Elle savait qu’il viendrait cette nuit-là. Tout l’annonçait. Dans la cuisine, elle vit un léger reflet blanc sur la surface brune de l’infusion, la vida dans l’évier, s’en alla. En revenant dans la chambre, elle hésita une seconde, puis poussa un autre éclat de branche au fond du poêle [57].

Wais et Gallé précisent que dans «  l’abus sexuel ce n’est pas la violence qui est prioritaire mais le fait que des hommes ou des femmes construisent une relation avec leurs victimes, une relation de confiance » [58]. Le fils d’Olga, comme nous l’avons signalé plus haut, a pu s’épargner cette peine. Toutefois, ce n’est que sur la base de cette confiance que la relation peut être exploitée, et l’abus sexuel prendre place. Dans une situation incestueuse, les femmes peuvent être coupables tout autant que les hommes : « Les femmes ne sont pas seulement victimes, elles peuvent aussi être violeuses » [59]. Cependant, le sentiment de culpabilité d’Olga est tout autre : « Plus tard, il lui arriverait de tressaillir à la pensée qu’en le surprenant elle aurait pu être découverte elle-même par lui entre les rideaux légèrement écartés sur la fenêtre de la cuisine… » [60]. Sa culpabilité rétrospective concerne l’embarras que son fils aurait alors certainement éprouvé à être découvert. Olga s’identifie à son fils. Dans l’identification à un autre être humain, Mélanie Klein avance qu’il s’agit de :

[l’]un des éléments des plus importants dans les relations humaines en général. C’est aussi une condition pour aimer vraiment et intensément. Si nous sommes capables de nous identifier à la personne aimée, nous ne pouvons que négliger ou, dans une certaine mesure, sacrifier nos propres sentiments et nos désirs aussi, pendant quelque temps, faire passer en premier les intérêts et les émotions de l’autre [61].

Olga sacrifie ses propres sentiments, elle les sacrifie à son fils, certaine de faire le bien de celui-ci, de lui faire don d’amour :

C’est ce soir-là, ou le suivant peut-être, qu’une pensée la blessa par sa vérité douloureuse et belle. Si ce qu’ils vivaient pouvait se dire l’amour, alors c’était un amour absolu car frappé d’un interdit inviolable et pourtant violé, un amour vu par le seul regard de Dieu car monstrueusement inconcevable pour les hommes, un amour vécu comme l’éternel premier instant d’une autre vie… [62].

Toutefois, Olga se donne et prend simultanément. Comme nous l’avons décrit, elle attend son fils et jouit de sa venue. Bien que sujette à un sentiment de honte, elle rejette la culpabilité de sa situation incestueuse sur son mari absent et n’endosse pas la responsabilité de son acte. D’un autre côté, il semble indéniable qu’elle est, en tout premier lieu, la victime de l’adolescent : l’initiative factuelle venant de lui.

Après avoir noté plusieurs aspects et manifestations de la relation d’Olga et de son fils, nous allons tenter de déceler les rapports entre la prise de conscience d’Olga et de son entourage : la présence du phénomène de synchronicité.

Dans Synchronicité et Paracelsica, Jung donne la parole à Schopenhauer pour expliquer le phénomène de synchronisme:

Il existerait entre tous les événements de la vie d’un être humain deux sortes de relations, radicalement différentes : d’abord la connexion objective, causale du cours naturel des choses ; ensuite, une connexion subjective qui n’existe que par rapport à l’individu qui vit ces événements, aussi subjective que ses propres rêves… Or, que ces deux sortes de connexions existent simultanément ; que le même événement, étant le maillon de deux chaînes tout à fait différentes, ne s’en insère pas moins avec précision dans l’une et l’autre, de sorte que chaque fois le destin de l’un s’accorde au destin de l’autre et que chacun est le héros de son propre drame mais en même temps aussi le figurant dans celui d’autrui [63].

Dans ce paragraphe, bien qu’écrit sur un autre sujet, se retrouve en résumé toute la structure du roman. Olga, l’héroïne, est aussi la figurante principale du drame de son fils. Ce qu’elle vit est connecté à certaines des expériences de celui-ci : son activité sexuelle nocturne. C’est toutefois par son point de vue que nous découvrons leur situation alors que l’adolescent n’apparaît qu’en filigrane. Nous ne savons rien de ses pensées ou de ses émotions ou de ses sentiments, si ce n’est par ce qu’en dévoile Olga.

Après avoir démontré et expliqué un grand nombre d’expériences menées à bien par Rhine sur la perception extrasensorielle qui donnent la « preuve décisive d’une connexion acausale entre certains événements » [64], Jung conclue qu’elles suggèrent « une relativité psychique du temps, car elles portent sur la perception d’événements qui n’ont pas encore eu lieu » [65]. Selon le raisonnement de Jung, le corps possède la même relativité que celle de l’espace et du temps. Il présente la synchronicité comme « une relativité de l’espace et du temps, placée sous la détermination du psychisme » [66]. De là, « Toute modification profonde de l’attitude mentale est le signe d’un renouveau psychique qui s’accompagne en règle presque générale de renaissance apparaissant dans les rêves ou les produits de l’imagination » [67].

Le concept de synchronicité tel que Jung l’a défini et tel que nous l’employons est donc différent du concept de « synchronisme » décrit par Schopenhauer et qui ne désigne que la simultanéité des événements. Au contraire, synchronicité est « la coïncidence temporelle de deux ou plusieurs événements sans lien causal et chargé d’un sens identique et analogue » [68]. Par définition, « le phénomène de synchronicité ne peut, par principe, être mis en rapport avec aucune représentation de nature causale. La connexion de facteurs coïncidents liés par le sens ne peut donc, nécessairement, être pensée que comme acausale » [69]. Voilà pour le phénomène en soi. Jung récapitule ainsi son concept :

Le phénomène de synchronicité se compose donc de deux éléments 1. une image inconsciente vient à la conscience, de manière directe (littérale) ou indirecte (symbolique) par la voie du rêve, de l’inspiration soudaine ou du pressentiment. 2. avec le contenu psychique vient coïncider un fait objectif [70].

Après avoir défini ce concept tel que nous l’employons, nous allons en rechercher la présence dans la diégèse.

Nous avons constaté que l’esprit d’Olga est envahi par un monstre gluant, gorgé de sang qui l’empêche de penser. Alors qu’elle regarde sa tisane, les pétales trop longtemps infusés, devenus bruns, ressemblent à la peau d’un animal : « Les fleurs trop longtemps macérées avaient bruni et ressemblaient, sous une fine couche de liquide, à la peau humide d’une bête recroquevillée » [71]. Similaire à l’animal qui déchire le cerveau de l’héroïne, qui n’est autre que ses pensées maladives. Causées par le refus, la peur et la conscience de l’inceste, elles sont comme un serpent lové. Toute la symbolique sexuelle du serpent s’épanouie dans l’image.

Pendant que l’infusion droguée refroidit, Olga nettoie le plancher de la cuisine. Les heures sonnent dans le lointain. Dans ce fragment, la description de son geste métaphorise son désir de purifier sa conscience. Olga essaie d’effacer le temps inexorable, illustré par le son des cloches au loin, en lavant le sol. Le temps annoncé en synchronicité avec son travail manuel qu’elle utilise pour s’empêcher de penser, de comprendre.

Alors qu’elle se refuse à admettre la possibilité de l’inceste, Olga feuillette l’encyclopédie médicale. Elle  tombe sur la gravure du serpent : « Un boa constricteur attaquant une antilope » [72]. Le boa lentement étouffe l’antilope. L’image correspond à la sensation éprouvée par Olga. Son esprit est étouffé par des pensées qu’elle veut faire refluer aux confins inabordables de sa conscience. Il ne s’agit pas de n’importe quel serpent mais d’un boa constricteur qui broie sa victime dans ses anneaux pour la dévorer. Ce serpent est la métaphore des pensées d’Olga ; l’antilope la représente à ses propres yeux. Olga se voit en tant que victime de l’inceste.

La seconde fois où l’image apparaît devant ses yeux, elle a accepté la réalité de l’inceste. Elle va dans la pièce aux livres, cherche fébrilement dans l’encyclopédie. La gravure est encore là : « Un boa constricteur attaquant une antilope ». La légende est toujours la même. Seule sa perception de l’image s’est modifiée : « Un corps luisant, couvert d’arabesques étranglait sa victime » [73]. L’étranglement est substitué à l’attaque :

La gravure, d’un réalisme pointilleux, produisait un effet inattendu comme tout excès de zèle. Car même si l’on voyait les moindres touffes de poil sur le pelage tacheté de l’antilope, son aspect rappelait un être vaguement humain : l’expression de ses yeux, la position du corps entouré des anneaux du gigantesque serpent. Quant au boa, son tronc musclé, couvert d’arabesques et prodigieusement gros, ressemblait à une épaisse cuisse de femme, une jambe ronde, indécemment pleine et tendue d’un bas orné de dessins… [74].

Le détail important pour notre étude réside dans la ressemblance du boa avec une cuisse de femme. Le sentiment de culpabilité qu’éprouve Olga à ne pas avoir interdit son corps à son fils, à avoir accepter l’interdit, se matérialise dans son interprétation de l’image. Le boa qui étouffe l’antilope s’apparente à une cuisse de femme. Implicitement, sa contemplation de l’image est l’aveu de sa responsabilité. Elle étouffe son fils par vouloir trop le protéger. Elle aurait dû répondre à son attaque par une semonce. Elle a laissé passer l’occasion de le faire.

Cette image de l’encyclopédie coïncide avec son image mentale, la similitude des pétales avec une peau humide. Cette image mentale correspond à l’élément 1. nécessaire au phénomène de synchronicité. Elle apparaît alors qu’elle observe les pétales de houblons. La découverte de l’image de l’encyclopédie, représente l’élément 2. du phénomène de synchronicité. L’aspect de la peau du boa constricteur correspond à l’image de la peau humide dans la casserole. Ces deux facteurs sont liés par le sens mais, leur connexion est acausale. Le phénomène de synchronicité se révèle lors de l’observation de l’infusion et la consultation de l’encyclopédie.

Revenons à la vase déversée par le baquet rouillé devant Olga. Cet événement surgit au moment où l’inceste n’est plus une simple virtualité en son esprit, une éventualité plus ou moins plausible mais, une réalité irréfragable dont elle jouit. Ce magma boueux et nauséabond correspond à ses pensées  dont la viscosité l’empêtre dans son secret maudit. La vase, une eau mêlée de terre et de putréfaction symbolise sa vision de l’inceste. Une chose immonde dans son optique. Cette image réelle, observée à la bibliothèque, coïncide avec l’idée qu’elle se fait de sa situation. C’est le fait objectif de l’élément 2 de la synchronicité. Son appréhension en entendant le bruit de la roue à l’approche de la bibliothèque correspond à l’élément 1 ainsi qu’à sa situation incestueuse réelle. D’autre part, la vase est une sorte de pâte où l’eau mêlée à la terre a, comme le dit Bachelard, un rôle émollient et agglomérant : « Elle délie et elle lie » [75]. Cette pâte vaseuse est une métaphore de la liaison fatale à Olga qui la lie à son fils, tout en la déliant de soi-même et délie ses rapports avec le réel diégétique. De même, cette liaison l’empêtre, la lie graduellement à la folie. La vase, odeur pénétrante et pestilentielle, est aussi la métaphore du marasme où son esprit s’enfonce inéluctablement.

Nous avons mentionné plus haut le fragment des poissons emprisonnés dans la glace sous l’effet du gel. Or, cette scène se situe au moment où Olga pressent l’inéluctabilité de sa situation et ses implications mortifères. Dans ce cas aussi, une correspondance sans lien causal entre ses pensées et l’événement peut être observée. Son pressentiment traduit l’élément 1 du phénomène et l’emprisonnement des poissons est le fait objectif coïncident, l’élément 2.

Après cette brève analyse, la présence du phénomène de synchronicité apparaît dans quatre cas au long de la diégèse. En premier lieu, dans le cas des pétales et de l’image encyclopédique. Puis, dans la coïncidence entre la remontée de la vase et la vision d’Olga. Et encore, dans la découverte de la voie ferrée qui s’arrête à un butoir, métaphore d’une voie sans issue. En dernier lieu, dans le cas des poissons emprisonnés dans la glace et le sentiment de claustration, d’engeôlement par l’inceste ressenti par Olga. Dans les quatre cas, les facteurs sont liés par le sens, mais leur connexion est acausale, ce qui correspond à la définition du phénomène de synchronicité, tel que nous l’employons. Dans les autres situations, la lumière de la chambre, la neige souillée, le dégel, les événements relèvent d’un phénomène de simultanéité et du synchronisme.

Ce phénomène de synchronicité dont nous avons relevé la présence est utilisé par Makine comme structure d’esthétisation. L’esthétisation par le roman de la problématique de l’inceste permet la discussion par la prise de connaissance qu’elle engendre à la lecture du roman. De ce fait, la confrontation avec le phénomène n’est plus réservée au cercle restreint des pathologistes mais s’élargit à celui des lecteurs.

Ce qui est décrit est la souffrance de la victime. Olga, bien qu’elle omette d’ériger la barrière du refus de son corps à son fils dès qu’elle prend connaissance de ses agissements nocturnes, n’en reste pas moins la victime de celui-ci. N’oublions pas, qu’en premier lieu elle ignore tout de ses agissements. Sa réaction à la découverte est l’horreur. Son silence peut être défini comme coupable. Toutefois, ce qui importe est le lent processus d’aliénation qui l’emporte vers la folie, le lot qui échoit à la victime de l’inceste. En cela, le crime d’Olga se résume à un crime par omission. Elle reste muette après sa découverte au lieu de morigéner son fils.

Makine expose le rôle de l’adulte vis-à-vis de l’enfant. Il revient à l’adulte de guider celui-ci entre les pièges de l’adolescence et son éveil à la sexualité, faute de quoi la mort l’attend. Que celle-ci soit psychique, physique ou sociale ou tout à la fois, elle reste inéluctable. Que le fils soit l’initiateur s’avère sans importance véritable. Quelles que soient les raisons qui l’ont conduit à la transgression, elles s’avèrent sans valeur devant le silence de la mère. Elle a laissé se produire l’impensable sans réfléchir aux conséquences malgré les indices révélateurs. Elle a proféré le oui à la jouissance au lieu du non à l’interdit et de ce fait s’est précipitée dans l’abîme de la folie. L’amour absolu est le danger imparable qui masque les prémisses de la démence chez Olga. Elle doit tenir deux rôles simultanément : celui de mère et d’amante mais ne peut assumer entièrement ni l’un ni l’autre.

C’est le mérite de Makine d’avoir interverti la problématique de l’inceste. Ici, un fils abuse de sa mère. Il se sert de leur isolement et de la relation de confiance qui existe naturellement entre une mère et un fils. Ce qui est généralement imputé à l’adulte dans une relation incestueuse relève, dans la diégèse, du comportement de l’adolescent. C’est aussi le mérite de Makine d’avoir décrit et démontré les limites à ne pas franchir, qu’il importe à l’adulte, quelle que soit sa misère émotionnelle, de délimiter pour l’enfant dont il a la charge. C’est à l’adulte qu’incombe la responsabilité du bien-être psychique, moral et physique de l’enfant.

« Il n’existe pas de passion amoureuse sans la transgression d’un interdit » [76] déclare Alberoni. Toutefois, toute transgression d’un interdit, fût-il l’interdit majeur, n’entraîne pas nécessairement, loin s’en faut, la passion amoureuse. Dans la diégèse, la transgression de l’interdit par le fils entraîne la passion amoureuse de la mère. Ou serait-ce la passion amoureuse de la mère qui a incité la transgression par le fils ? Une question qui, bien qu’elle reste sans réponse, devait tout de même être posée.

 Notes


[1] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998.

[2] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988.

[3] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981.

[4] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 9.

[5] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, 9.

[6] E. Durkheim, Jugements de valeur et jugements de réalité, Paris, Librairie Félix Alcan, 1930, cité par F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 10.

[7] voir au sujet de la fascination de l’horreur : J. Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, Paris, Seuil, 1980.

[8] M. Magre, L’Amour et la haine,Paris, Fasquelle Editeurs, 1934, p. 93.

[9] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 166.

[10] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 28.

[11] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 115.

[12] G. Lopez, Les Violences sexuelles sur les enfants, Paris, PUF, p. 29.

[13] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 31.

[14] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 216.

[15] P.-C. Racamier, Les Schizophrènes, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1980, p. 140.

[16] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 89.

[17] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 25.

[18] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 25, souligné dans le texte.

[19] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 25.

[20] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 27.

[21] E. Westermarck, Histoire du mariage, Paris, Payot, 1945, cité par J.-D. de Lannoy, p. 104, souligné dans le texte.

[22] E. Westermarck, Histoire du mariage, Paris, Payot, 1945, cité par J.-D. de Lannoy, p. 110, souligné dans le texte.

[23] R. Fox, Anthropologie de la parenté, Paris, Gallimard, 1972, cité par J.-D. de Lannoy, p. 156.

[24] J.-D. de Lannoy et P. Feyereisen, L’Inceste, un siècle d’interprétations, Paris, Delachaux et Niestlé, 1996, p. 21.

[25] J. G. Frazer, Les Origines de la famille et du clan, 1922, cité par J.-D. de Lannoy, p. 24.

[26] R. Fox, Anthropologie de la parenté, Paris, Gallimard, 1972, cité par J.-D. de Lannoy, p. 143.

[27] R. Fox, Anthropologie de la parenté, Paris, Gallimard, 1972, cité par J.-D. de Lannoy, p. 148.

[28] S. Freud, Totem et Tabou (1912), Paris, Payot, 2001.

[29] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 86.

[30] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 121.

[31] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 152.

[32] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 113.

[33] H. Parat, L’Inceste, Paris, 2004, PUF, p. 39.

[34] H. Parat, L’Inceste, Paris, 2004, PUF, p. 38.

[35] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 191.

[36] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 191.

[37] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 151.

[38] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 114-115.

[39] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 212.

[40] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 34.

[41] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 184.

[42] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 90.

[43] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 159.

[44] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 159.

[45] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 159.

[46] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 89.

[47] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 89.

[48] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, p. 99.

[49] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, p. 89.

[50] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 93.

[51] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 229.

[52] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 209.

[53] M. Wais et I. Gallé,  Alledaags misbruik, Ervaringen met slachtoffers, daders en ouders, Zeist, Uitgeverij Vrij Geestesleven, 1997, « Abus quotidiens, expériences avec des victimes, des coupables et des parents » vert. M.L. Clément.

[54] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 217-218.

[55] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 229.

[56] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 110-111.

[57] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 207.

[58] M. Wais et I. Gallé,  Alledaags misbruik, Ervaringen met slachtoffers, daders en ouders, Zeist, Uitgeverij Vrij Geestesleven, 1997, p. 63, « Op de voorgrond staat bij het misbruik echter niet de toepassing van openlijk geweld, maar veeleer het feit dat mannen evenaals vrouwen een relatie met hun slachtoffers opbouwen, een vertrouwensrelatie ». Traduction M.L. Clément.

[59] M. Wais et I. Gallé,  Alledaags misbruik, Ervaringen met slachtoffers, daders en ouders, Zeist, Uitgeverij Vrij Geestesleven, 1997, p. 59 « Vrouwen zijn niet slechts slachtoffers, maar kunnen ook verkrachters zijn ». Traduction M.L. Clément.

[60] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 87.

[61] M. Klein et J. Rivière, L’amour et la haine. Le besoin de réparation, Paris, PBP, 2001, traduit par A.Stronck, pp. 96-97.

[62] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 233.

[63] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 29.

[64] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 33.

[65] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 35, souligné dans le texte.

[66] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 37.

[67] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, pp. 40-41.

[68] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 43.

[69] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 47.

[70] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 49.

[71] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 93.

[72] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 93.

[73] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 267-268.

[74] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 93-94.

[75] G. Bachelard, L’Eau et les Rêves (1942)José Corti, Paris, 1966, p. 142.

[76] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 25.Amet tendre volupté :

Transgression de l’interdit chez Andreï Makine.

Le Crime d’Olga Arbélina (1998) [1] dépeint la relation d’une mère et de son enfant. Réfugiée de la révolution d’octobre, et abandonnée par son mari, Olga s’installe avec son fils à Villiers-la-Forêt où elle devient bibliothécaire. Narré par le gardien du cimetière où repose son corps, le récit encadré consiste en la révélation du comportement de son fils. Celui-ci ajoute à son insu un somnifère puissant à son infusion vespérale de houblons. Elle découvre de manière inattendue les faits et gestes de ce dernier alors qu’elle jardine près de la fenêtre de la cuisine. Après le dégoût et le déni, suivra la fascination de l’horreur et viendront, pour Olga, l’acceptation, la jouissance et la culpabilisation, pas nécessairement dans cet ordre.

Nous nous proposons de faire une analyse de ce « crime » tel qu’il apparaît à l’héroïne, et d’en rechercher les rapports synchroniques entre son inconscient et son entourage au fil de la diégèse. Pour ce faire, nous nous appuierons sur la définition de la synchronicité exprimée par C. G. Jung dans Synchronicité et Paracelsica (1988) [2]. D’autre part, nous établirons notre analyse du sentiment amoureux à l’aide de la théorie de Franscesco Alberoni, Le Choc amoureux (1981) [3].

Tomber amoureux serait : « L’état naissant d’un mouvement collectif à deux » [4]. Mais encore, Alberoni précise bien que ce « n’est ni un phénomène quotidien, ni une sublimation de la sexualité, ni un caprice de l’imagination » [5]. Or, dans le roman qui nous occupe, l’héroïne, en dernier ressort, subit les effets de son imagination défaillante. Elle sombre dans la folie : ce qu’elle vit est loin d’être une relation ordinaire ou anodine. Si tomber amoureux est un mouvement collectif à deux comme l’affirme Alberoni, dans ce roman, nous voyons ce mouvement du point de vue d’Olga. Durkheim a analysé les mouvements collectifs : « L’Homme qui les éprouve a l’impression qu’il est dominé par des forces qu’il ne reconnaît pas comme siennes, qui le mènent, dont il n’est pas le maître » [6]. Cette définition traduit, on ne peut mieux, les sentiments d’Olga tels qu’ils sont décrits. Elle se sent inapte à réagir contre l’interdit. Cet interdit qui lui répugne, la révulse, exerce une attraction sur elle : l’horreur la fascine [7]. L’extraordinaire prime sur le quotidien illustrant que « dans la vie quotidienne, on est bien rarement blessé par des furieux ou tué par des assassins » [8]. Il n’est ni furieux ni assassin celui qui la blesse : il est son fils.

Sa vie se trouve plongée dans un nouveau registre de valeurs où d’autres lois ont cours. Malgré l’horreur qui la submerge, Olga garde intact son amour pour son fils. Elle lui trouve des excuses. La principale d’entre elles est sa maladie. Qu’il soit atteint d’hémophilie menace sa vie. En cela, les rapports sexuels avec sa mère seront peut-être les seules amours charnelles qu’il connaîtra avant de mourir. Il reste parfait à ses yeux. Son acte n’est nullement empreint de criminalité. Elle pense être la criminelle, non lui :

Criminel… Elle le répétait sans cesse durant cette nuit blanche. Criminel était le silence qu’elle avait gardé. Son acceptation. Sa résignation. Criminelle aussi cette nudité adolescente, dissimulée sous un long manteau d’homme. Criminelle toute cette nuit… [9]

Bien qu’elle sache son fils coupable, c’est surtout son propre silence qu’elle considère criminel. Ce qu’elle note de criminel en lui est sa nudité. Mais elle jouit de cette nudité. Par ce biais, il s’agit donc de sa propre jouissance qu’elle condamne. Ce processus est un processus commun dans le cas d’une passion amoureuse. Il est même vital car « grâce à cette élaboration, l’objet d’amour garde le plus possible les caractères d’un objet d’amour » .[10] Or, Olga aspire à l’amour dont elle a été privée. Elle désigne son mari, qui l’a délaissée, la privant ainsi de l’amour auquel, dans son optique, elle avait droit, comme le véritable coupable de la situation dans laquelle elle se trouve à présent :

Un homme, beau et d’une carrure de géant, montait dans un taxi. Le coupable. Son mari… Avant de glisser dans la voiture, il se retournait et, devinant avec une précision impitoyable la fenêtre derrière laquelle elle suivait, en cachette, son départ, la saluait à la militaire, en signe d’adieu bouffon. Et les jours suivants, dans l’entrée de cet appartement parisien, un enfant travesti en soldat se mettait au garde-à-vous, et guettait les pas familiers dans l’escalier… [11]

Que son mari l’abandonne, la laissant seule avec son fils, crée une situation dans laquelle ce dernier prend la place de son père, remplit le vide laissé par son absence  dans le lit de sa mère. L’absence du père est aussi l’absence de la fonction parentale qu’il aurait dû remplir : « aider la mère et l’enfant à se séparer » [12]. Au lieu de cela, son absence les rapproche de manière incontestable.

« Quand on tombe amoureux, on continue longtemps à se répéter à soi-même qu’on ne l’est pas » [13]. C’est exactement le comportement d’Olga. Inlassablement, elle se persuade ne pas être amoureuse. Or, elle l’est bel et bien au sens courant du terme et de plus, jouit-elle de la venue de son fils plusieurs nuits consécutives :

Cette fois ce fut une caresse, une bouffée dense, piquante qui sinua en remontant vers sa poitrine et s’enflamma dans sa gorge… Deux autres nuits répétèrent le même spasme, le même embrasement de l’air qu’elle respirait. Sa surprise diminua et, durant la troisième nuit, devint une sorte d’inavouable prévision qui prépara son souffle, modela son corps… Elle n’avait plus besoin de mourir pour se donner à lui[14].

Cette jouissance, cette relation est condamnée par la société. Elle le comprend sans le comprendre vraiment, incapable de se faire une représentation de l’événement. « L’inceste réalisé prévient la représentation de l’inceste » [15] et la démunit de son pouvoir de réflexion. Simultanément à sa compréhension naissante de la situation, tourbillonnent en son esprit les images et les idées chaotiques, processus précurseur de la démence dans laquelle elle sombrera définitivement plus tard :

Devinant tout, ne comprenant encore rien, elle vit sous ses paupières s’assembler des fragments dispersés : ces doigts en voltige au-dessus des fleurs de houblon infusées, les trois photographies de la femme nue, la porte ouverte la nuit où elles avaient été prises, deux jours passés chez Li, l’avortement… Ses yeux noyés dans l’épaisseur cotonneuse du vertige discernaient déjà avec horreur le sens de cette mosaïque désassemblée. Mais la pensée, engourdie par la montée du sang, se taisait [16].

Il lui est impossible de dénommer le comportement de son fils. Cela se comprend aisément puisque la société et la loi extradiégétiques montrent aussi quelques difficultés de ce côté-là.

L’expression « abus sexuel » ne fait pas partie du vocabulaire quotidien ni du vocabulaire juridique tel qu’il est stipulé dans le code pénal français. D’autre part, il est dit que « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » [17]. Les agissements du fils d’Olga ne ressortissent pas exactement à cette dénomination. Encore moins le comportement d’Olga. Nous y reviendrons plus tard. Par contre, le viol, défini comme « acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit (art. 222-23) […] est un crime qui est jugé aux assises. Il est catalogué avec l’attentat à la pudeur et l’outrage public à la pudeur sous la dénomination d’ « atteintes contre les personnes » » [18]. Le terme d’ « inceste » ne figure pas en tant que « catégorie juridique, mais le crime de viol est considéré comme aggravé si l’agresseur est un « ascendant légitime, naturel ou adoptif » (art. 222-28) » [19]. Après ces précisions juridiques, Hélène Parat rappelle que « les cas de relations sexuelles entre adultes et enfants rentrent toujours dans le registre des agressions sexuelles, mais, selon les pays, le lien de filiation est ou n’est pas considéré comme une circonstance aggravante » [20]. Edward Westermarck signale qu’ « il n’y a pas de loi qui permette le mariage entre parents et enfants, ou entre frères et sœurs. Même la Loi soviétique sur le Mariage et la Famille, qui est la plus libérale de toutes les lois modernes, interdits ces unions » [21]. D’autre part, Robin Fox explique qu’il est nécessaire de faire explicitement la distinction entre lien du mariage et activité sexuelle.

Il est évident que le crime d’Olga est condamné par la société sans exactement le nommer. Toutefois, nous sommes témoins, en tant que lecteur, d’une certaine activité sexuelle entre la mère et le fils. De mariage, il ne saurait être question. À ce sujet, après avoir parlé des liens du mariage évoqués par des auteurs aussi divers que Jones, Robertson Smith, Montesquieu et Freud, Westermarck rapporte une question de Sir James Frazer : « Pourquoi le mariage d’un frère avec une sœur ou d’une mère avec son fils excite-t-il le plus profond dégoût ? » [22]. Une question sans réponse satisfaisante, mais balaie du faisceau de l’ordinaire la première réaction d’aversion exprimée par Olga. Au sujet de la répulsion, Robin Fox réfère, non au commun des mortels mais, à certaines familles royales et sectes religieuses, lorsqu’il écrit : « l’horreur de l’inceste n’a rien d’universel et de nombreuses sociétés n’ont nullement éprouvé le besoin d’instituer des sanctions sévères pour s’en garder ; il en est qui pratiquent l’inceste et d’autres encore qui manifestent à son égard une très réelle indifférence » [23]. Quoi qu’il en soit de l’aversion de la société vis-à-vis de l’inceste, dans la diégèse, nous avons affaire à l’horreur qu’éprouve Olga, celle de la société apparaissant par l’entremise de ses pensées et son penchant.

Frazer, qui rappelle que « la découverte de l’exogamie est due à Lathan, même si on l’attribue généralement à Mc Lennan » [24], soulève le rapport entre la loi et l’instinct :

Nous pouvons supposer avec certitude que les crimes défendus par des lois sont des crimes qu’un grand nombre d’hommes ont une propension naturelle à commettre. Si le penchant n’existait pas, il n’y aurait pas le crime, et si de tels crimes n’étaient pas commis, quelle serait la nécessité de les interdire ? Donc, au lieu d’admettre, d’après la prohibition légale du crime d’inceste, qu’il y a une aversion naturelle contre l’inceste, nous devrions au contraire supposer plutôt qu’il y a un instinct naturel en faveur de cela, et que si les lois le répriment, comme elles répriment d’autres instincts naturels, elles le font parce que les hommes civilisés en sont venus à conclure que la satisfaction de ces instincts naturels est au détriment des intérêts généraux de la société [25].

En cela, Fox voit un argument « fallacieux » et « fort courant bien que généralement non explicité, selon lequel faute d’un interdit sur les relations incestueuses les gens choisiraient délibérément de s’y livrer » [26]. De ce qui précède, il nous est impossible de conclure à la narration d’une relation ordinaire dans la diégèse.

Qu’Olga tombe amoureuse de son fils après l’avoir entouré de son amour maternel est donc strictement réprouvé par la société. La naissance d’un enfant né de leur union ne doit pas avoir lieu. La scène d’avortement et le calcul d’Olga, déroutée par les dates, le laisse clairement entendre : socialement, un homme ne doit pas être le frère et le père du même enfant simultanément. Biologiquement, il le peut. Sur cette possibilité pèse un interdit. Un tabou. Robin Fox se refuse à l’envisager. Cette théorie, nous dit-il « ne tient pas compte du fait qu’une personne ne peut être qu’une personne à la fois » [27]. Or, là réside le problème principal d’Olga. Elle doit assumer simultanément deux rôles différents. Celui de mère et celui d’amante du même adolescent : son fils. Cette situation explique partiellement la confusion mentale qui l’assaille. Nous savons depuis Totem et tabous (1912) [28] que le monème /tabou/ est à l’origine un adjectif. Dans ce sens, la mère est sexuellement tabou. Tout ce qui est tabou doit être respecté. Dans la diégèse, il s’agit de non-respect de la mère par le fils.  Le fils commet « une agression sexuelle » par surprise et manque de respect.

La surface de l’infusion, miroir aquatique dans la petite casserole de cuivre, révèle la présence presque invisible de la poudre blanchâtre. Somnifère puissant, reflet des sentiments inavoués et inavouables du fils pour sa mère. La fine pellicule est comme le film qui ternit et assombrit les pensées qu’elle se refuse à formuler, l’indicible. Elle observe les feuilles de houblons qui ressemblent à une peau humide, réminiscence d’une pensée qui lui répugne. Elle ne peut ni laisser se former en son esprit les mots qui décrivent l’événement ni ignorer la poudre blanche, la poussière du crime. Une poudre non miscible qui flotte à la surface avant de se déposer au fond de la tasse comme un limon maléfique. Cet élixir, au lieu de lui faire trouver le calme et le sommeil, lui révèle l’abomination d’une situation inexprimée et inexprimable, puisque condamnable et condamnée par la société. L’indicible envahit sa vie :

Au cours d’une soirée claire et fraîche de l’arrière-saison, dans un moment de grande sérénité, elle surprendrait son fils près de ce petit récipient en cuivre dans lequel se décantait son infusion de fleurs de houblon. Elle l’apercevrait figé dans cette attente brève et crispée qui suit un geste qu’on veut à tout prix secret. Oui, cette fixité hypnotique qui s’intercale entre ce geste dangereux ou criminel et la décontraction exagérée des mouvements et des paroles qui viennent après. Ce qu’elle croirait alors deviner lui paraîtrait d’une monstruosité si invraisemblable qu’instinctivement elle reculerait de quelques pas. Comme si elle avait désiré remonter le temps, en pressentant déjà que le retour à leur vie d’autrefois devenait, à cet instant-là même, impossible [29].

Elle ne peut se résoudre à le croire. Néanmoins, ses doutes sont dissipés un soir où elle comprend que « la poudre que l’adolescent déversait dans l’infusion n’avait pas eu le temps de se dissoudre et que, pressée de démentir son horrible intuition, elle avait avalé le liquide sans l’avoir brassé…» [30]. La poudre s’est déposée au fond de la tasse et reste sans effet. Elle surprend son fils lorsqu’il vient la violer. « Quand il pénétra dans la chambre, ce fut pour elle l’ultime instant de conscience. L’instant où le nageur qui se noie parvient, pour la dernière fois, à revenir à la surface et revoie le soleil, le ciel, sa vie encore si proche… » [31]. Enfin, elle comprend. Elle ne peut plus s’interdire de comprendre : « Tout était trop évident : ce récipient en cuivre, une main qui le survole, avec la nervosité précise d’un acte criminel, en secouant un petit rectangle de papier sur le liquide brun, son ombre qui s’éloigne déjà du fourneau, pivote, se réfugie dans une pose expressément neutre » [32].

Devant ces évidences, Olga cherche fébrilement des excuses à son fils hémophile. Elle feuillette l’encyclopédie et tombe sur l’image d’un serpent. Quelques jours plus tard, à son arrivée à la bibliothèque, installée dans une ancienne distillerie à bière, le grincement de l’engrenage, immobile depuis des années, se fait entendre. La chaîne, attachée à la roue, remonte un baquet rouillé. Au lieu de l’eau limpide, claire, nécessaire à la fabrication de la bière, il ramène à la surface une vase pestilentielle. Nous reviendrons  sur ces deux événements.

Selon Parat, l’interdit de l’inceste est bien universel, mais ses formes sont universellement différentes. Au-delà des querelles et des découvertes, « l’inceste le plus rare cliniquement, mais également le plus proscrit : l’inceste entre mère et fils » [33]. C’est précisément d’une telle relation dont il s’agit dans la diégèse, quelle qu’en soit la dénomination. Le fils endort sa mère afin de la rejoindre le soir où elle a sombré dans un sommeil artificiel et profond que lui procure la drogue. « Mais quelles que soient les variations des règles et des nominations, l’union entre mère et fils, père et fille, ou sœurs et frères biologiques n’est-elle pas considérée comme un inceste, n’est-elle pas toujours abhorrée ? » [34]. C’est parce que cette relation est proscrite que sa découverte horrifie Olga. Le comportement de son fils tisse la mort et l’amour dans une trame serrée qui finit par étouffer l’héroïne dans un carcan de démence.

Alors qu’elle prend conscience de  la nature de leurs rapports, l’hiver recouvre de glace l’étang que forme un bras de la rivière :

La surface du petit étang était recouverte de glace, seule une percée, moins large qu’un pas, faisait apparaître l’eau libre, noire. Et ce vernis sombre était rayé de mouvements incessants, de brèves secousses frénétiques, puis d’une lente rotation ensommeillée. Parfois, dans le reflet liquide de la lune, les écailles brillaient, on voyait se dessiner des nageoires, les plaques argentées des ouïes… [35].

Emprisonnés dans la glace qui risque, sous l’effet du gel persistant, de se refermer complètement sur eux et de les faire ainsi périr, les poissons métaphorisent les vies d’Olga et de son fils que l’inceste, mais surtout le crime qu’il signifie dans le regard sociétal, englue dans une relation suffocante et mortifère. La situation des poissons est similaire à la leur. La glace, l’étau qui lui enserre le cœur et l’esprit, se resserre jusqu’à la briser. Elle repère dans son entourage des signes qui lui rappellent sa situation. C’est le cas alors qu’elle est seule dans sa chambre.

La neige éclaire la nuit d’une « lumière cendrée, envoûtante » [36]. Olga écarte ses rideaux pour en faire pénétrer la blancheur à l’intérieur. Alors, « la chambre sembla coupée en deux moitiés, l’une baignée d’une blancheur lactée, l’autre plus noire que d’habitude » [37]. Cette image, scindée en deux, illustre la dichotomie de la réalité diégétique dans laquelle Olga se débat. D’un côté, son fils encore enfant, pur, innocent, comme la neige immaculée dont le reflet jaspé envahit sa chambre. De l’autre, l’adolescent devenu homme qui la viole la nuit au gré de son désir masculin. Le noir de la chambre est l’obscurité qui dissimule le secret qu’elle se refuse à voir. Ce secret dont la noirceur l’accable. Ni l’une, ni l’autre de ces images n’est la réalité. Elles se bousculent simultanément en son esprit et la font se mouvoir en un univers kaléidoscopique où la virtualité et la tangibilité se mêlent et lui échappent, l’étourdissent dans une ronde infernale et restent hors de portée du compréhensible :

Elle revit le reptile rond, gonflé de sang. Il fallait tout de suite comprendre comment la bête avait pu pénétrer dans sa vie, dans leur vie. Elle sentait déjà les premières bouffées du sommeil enfumer sa vue. Il fallait comprendre. Sinon le réveil serait impensable. Se réveiller pour quelle vie ? La vivre comment ? Comment vivre aux côtés de cet être mystérieux qui venait de traverser le couloir à pas furtifs ? Il fallait, en ces quelques dernières minutes de veille, trouver le coupable. Désigner la personne, le geste, le jour qui avaient gauchi le cours normal des choses [38].

Toutefois, malgré l’évidence, Olga persiste à se cacher la vérité qui doit rester ignorée de tous. Ainsi que nous l’avons plus haut, elle désigne son mari comme le coupable responsable de sa situation.

Au cours d’une marche dans la campagne, la douceur de l’air lui laisse reprendre espoir. La glace fond et distille des gouttelettes de givre fondu. Le carcan de terreur qui l’emprisonne cède légèrement. Elle respire à nouveau librement. Les diamants des cieux ruissellent sur l’onde spéculaire d’une flaque qui garde l’empreinte d’un pas où la lune se reflète. Éphémère plaisir de l’évanescent souvenir. Ses pas la ramènent vers son logis par un détour inhabituel :

C’est pour éviter le chemin habituel noyé sous la neige poreuse du dégel qu’elle rentra, ce jour-là, en contournant la gare, et arriva à la Horde du côté opposé. Un train passa, elle continua sa route d’une traverse à l’autre, en entendant longtemps la vibration décroissante des rails. Puis la voie bifurqua. Celle, l’ancienne, qui desservait autrefois la fabrique de bière, s’enlisa bientôt dans un butoir… [39].

Le butoir, obstacle infranchissable, qui, s’il est dépassé, engendre le déraillement, surgit devant elle. Métaphore de sa vie, les rails de chemin de fer ne peuvent aller plus avant. Sa vie est bloquée. Au loin, le soleil perce les nuages et éclaire la ville alors qu’auprès du butoir où elle s’accoude un moment, il fait « presque sombre ». Olga se trouve seule au bout de ce chemin oublié qui ne mène nulle part. Métaphore du chemin que les humains ne doivent pas prendre, celui des mythes de l’origine, le chemin de l’inceste. En effet, dans un grand nombre de mythes fondateurs, la thématique de l’inceste inévitable se déploie de manière récurrente comme l’unique possibilité de la multiplication de la population humaine. Adam et Eve, le mythe d’Hésiode, les mythologies grecques avec, entre autres, Nycthémère. L’inceste des dieux était toléré, celui des pharaons, obligé mais, celui des humains est « celui qui induit la mort des protagonistes, mort infligée ou mort décidée, mort inévitable décrétée par les dieux, ou prescrite par les humains » [40]. Or, ce butoir de l’inceste, en le dépassant, Olga a signé son arrêt de mort. Ce sera pour elle la mort psychique. La folie qui lui embrume le cerveau est la mort qu’elle choisit de s’infliger. Tel est le prix de son silence.

Au fur et à mesure qu’Olga prend conscience de sa situation incestueuse, la neige immaculée se transforme en boue et elle bute dans la : « neige souillée contre le rebord du trottoir » [41]. La neige reflète son état d’esprit, la souillure qu’elle ressent. À nouveau, elle erre dans les rues. Cette fois-ci, non plus pour fuir la réalité de la révolution mais, celle de la situation qu’elle ne peut assumer. Elle pénètre dans l’espace virtuel de la folie :

Elle comprenait maintenant que le jeune homme avait surgi au moment du vertige, le visage et le corps mûris par l’horreur de la mosaïque qui avait révélé l’impensable. Oui, ce très jeune homme mince, pâle, avec le reflet transparent, presque invisible de la toute première moustache, appartenait au monde de la mosaïque qui, au contact de la pensée, se transformait en un reptile luisant, aux yeux vitreux, indéchiffrables. Le monde qui horrifiait mais ne se laissait ni penser ni dire [42].

Sa promenade terminée, Olga revient brusquement à la réalité. Dans l’entrée, les chaussures de son fils lui apparaissent indécentes : « Cette paire de chaussures se transformait maintenant sous son regard en quelque chose d’indécent, d’ambigu… » [43]. Elle passe la main dans la chaussure : « à la recherche d’un clou dont la pointe pouvait provoquer un saignement » [44]. Ce geste qu’elle a tant de fois accompli, elle ne peut le terminer. Un cri s’échappe de sa gorge : « Il était en moi ! » [45]. Ce geste la confronte à l’évidence de sa relation incestueuse :

Olga eut une parcelle de seconde pour comprendre… Mais le reptile gonflé de sang éclatait, lui brûlant la nuque, figeait sur ses lèvres un cri. La mosaïque resta brisée : trois photos, la porte ouverte, elle, toute nue, debout, l’infusion qui donnait parfois un sommeil si long. Ce fut comme un mot oublié qui laisse entrevoir, un instant, ses lettres, sa tonalité et disparaît immédiatement, en offrant juste la certitude de son existence.

Oui, ce reptile gluant, bouffi d’un sang brun existait. C’est lui que sa pensée éclaircie retint, telle la preuve d’une folie momentanée. Et même la voix de la « petite garce » s’était tue, terrifiée par ce qui venait de se laisser deviner.

Son regard était à présent fixé sur le jeune inconnu qui, dans la cuisine éclairée, feuilletait nonchalamment un cahier ouvert sur la table. C’était son fils ! [46].

C’est de son fils dont il s’agit. Non d’un jeune inconnu quelconque. Elle en devient pleinement consciente et ne peut plus en occulter les implications. Le geste d’enfouir la main dans la chaussure la réveille brutalement à la réalité quotidienne abhorrée.

La révulsion contre l’acte subi produit chez Olga la vision d’un serpent monstrueux qui enserre son cerveau et prend possession de ses pensées. Ce monstre n’est pas sans rappeler le « cas François » cité par Hélène Parat [47]. Il s’agit d’un homme victime d’inceste dans son enfance. En proie à des crises d’angoisse, il voit un monstre gluant prêt à l’attaquer. L’angoisse qui l’étreint est liée à l’idée de la pénétration par le père. Dans le cas d’Olga, cette idée de la pénétration par le fils, refusée avec horreur, fait aussi ressurgir le souvenir du viol qu’elle a subi dans sa jeunesse. L’homme qui tue son agresseur est le Prince Arbéline qu’elle retrouvera fortuitement une fois arrivée à Paris et épousera.

Le viol dont elle a été la victime, la fuite de son pays natal virevoltent en souvenirs dans sa mémoire. Avec les aléas de la maladie de son fils, ils lui forgent une existence chaotique, psychotique. Or, ce fonctionnement ou dysfonctionnement psychotique de la mère est souvent à l’origine des relations sexuelles entre une mère et son jeune fils : « L’inceste mère-enfant est rare sous forme d’actes génitaux caractérisés et les relations sexuelles entre un adolescent et sa mère sont souvent le fait de mères au fonctionnement psychotique » [48]. Pour l’écrire clairement : Olga n’a plus toute sa tête. À partir du moment où elle prend conscience de l’inceste, elle est en proie à l’angoisse, traduite par le serpent étouffeur. Elle a dépassé le butoir qui la protégeait de l’impensable. Ce phénomène s’explique de la manière suivante : « Le refuge du clivage cède, l’angoisse de l’engloutissement qui est liée à l’idée refusée avec horreur, de pénétration » [49] surgit alors dans l’esprit de l’agressé.

Au plus profond de son être, Olga sait pertinemment que la dimension compositionnelle de leur relation est désapprouvée par la société. Après cet amour naissant, elle ne peut plus se contenter d’agir selon les apparences et se comporter uniquement en mère. Son moi est incapable de se satisfaire de la copie des gestes quotidiens sans valeur profonde :

« Aucun geste ne sera plus anodin », répéta en elle un écho chuchoté. Et rapidement, sans qu’elle pût y opposer la moindre résistance, la mosaïque vue pendant le vertige se mit à rassembler ses fragments : une main anxieuse qui survole le fourneau, le chat qui sur le premier cliché surveille une femme endormie, la porte ouverte par laquelle l’animal a pu se glisser, ce jeune homme qui vivrait désormais sous le même toit qu’elle… Elle sentit s’enfler dans sa tête une grosse bulle de peau glaireuse, bossuée. Le reptile… La mosaïque se composait de plus en plus vite : la main au-dessus de l’infusion, son sommeil de mort certains jours, cet enfant qui avait la même taille qu’elle, ce crayon orange… Encore un tour et ces éclats allaient se figer dans une certitude sans issue… [50].

Respecter les gestes appris dans la nonchalance avant la prise de conscience se révèle impossible. Elle ne peut non plus aspirer à ce que cette relation marquée du sceau de l’interdit continue. La légitimation reste hors de portée bien qu’elle se prenne à l’espérer avec nostalgie : « Un jour, avec une joie qui cribla ses tempes de mille battitures brûlantes, elle eut cet espoir insensé : peut-être ce qu’elle vivait pouvait aussi, un jour, être avoué ? » [51].

D’un autre côté, comme nous l’avons constaté, elle jouit. Pour s’en défendre, la haine de son fils en tant que violeur est impossible également, puisqu’il est son fils. Pour échapper à la pétrification, la seule structure catégorielle restante est la folie. Seul l’abîme de la démence peut encore la protéger d’une vérité trop douloureuse et lui offrir le refuge nécessaire à sa survie. Continuer à vivre si ce n’est à exister. Les limites institutionnelles imposées à l’amour maternel par la société, Olga les a transgressées. Dans une ultime tentative d’auto défense, elle souhaite être dans le droit et la santé psychique :

C’est alors, la vue fixée sur cette nuit ascendante, qu’elle imagina la terre tout entière, ce globe, ce monde habité d’hommes. Oui, tous ces hommes qui parlaient, souriaient, pleuraient, s’étreignaient, priaient leurs dieux, tuaient des millions de leurs semblables et, comme si de rien n’était, continuaient à s’aimer, à prier, à espérer, avant de traverser la mince couche de terre qui séparait toute cette agitation de l’immobilité des morts.

La parole qu’elle s’entendit chuchoter l’étonna moins que le petit voile de sa respiration qui brilla dans un rayon de lune : « Ce sont eux qui vivent dans la folie la plus complète. Eux, là-bas, sur leur globe… » [52].

Dans leur étude Alledaags misbruik, Ervaringen met slachtoffers, daders en ouders (1997) [53], Mathias Wais et Ingrid Gallé dévoilent les tactiques employées par les violeurs d’enfants pour isoler leurs victimes. L’isolement est une des conditions requises pour placer l’enfant, s’il ne l’est déjà, dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’adulte. Or, dans la diégèse, il s’agit d’un fils qui abuse de sa mère. Toutefois, la structure de l’isolement est reproduite. Le fils d’Olga peut s’épargner la peine d’avoir à la construire. Le fils et la mère vivent isolés dans leur maisonnette à la périphérie du village.

Olga soutient son fils dans son comportement. Une des raisons en est leur jouissance indéniable, réciproque et simultanée :

Ce soir-là, il se leva avec une telle précipitation qu’elle se raidit en croyant s’être inconsciemment trahie. Un peu de lumière distillait à travers ses cils. Elle le vit debout, entre la porte et la fenêtre, le corps tendu en arc, les épaules et la tête rejetées en arrière, les paupières fortement plissées… Elle le regardait, ne se cachant plus dans le sommeil, le souffle étranglé par la pitié, par l’angoisse. Il écrasait de ses mains le bas de son ventre et ces mains, refermées comme sur une proie, étaient secouées de rapides battements. Son visage levé exprimait à présent, sous la même grimace de douleur brutale, une sorte de prière, une supplication adressée à quelqu’un que seuls ses yeux fermés voyaient. Sa bouche, par saccades, avalait l’air avec un rictus qui découvrait ses dents. Ses mains croisées l’une sur l’autre se crispèrent plus violemment, une convulsion, puis une autre parcoururent son corps – il ressembla à un papillon qui se débat contre une vitre… [54].

Olga se rend compte que pour son fils aussi leur relation incestueuse est une voie sans issue bien qu’il en soit aussi inconscient qu’un papillon de la vitre contre laquelle il se cogne. Dans son amour maternel, elle comprend la souffrance de l’adolescent qui sait porter en lui les germes d’une maladie inguérissable. C’est une des raisons pour laquelle elle accepte progressivement la transgression de l’interdit le plus indicible : la jouissance dans l’union charnelle d’une mère et son fils :

Son corps, depuis plusieurs nuits déjà, avait appris à se donner tout en paraissant immobile, à éviter la rupture brutale, à préserver cette lente décantation qui sépare insensiblement les corps qui ont joui… Cette nuit-là, elle trouva la mesure de cette séparation silencieuse : une tempe, suivant l’épuisement du corps, s’appliqua, un instant, sur ses lèvres. Une veine battait, affolée. Dans ce baiser involontaire, elle sentit les pulsations s’apaiser peu à peu… [55].

Ce fils répond au canevas de nos attentes. Il est l’homme qui prend par la force ce dont il a envie, si ce n’est dont il a besoin. Qu’il drogue sa mère est un acte de violence. Dans cette optique, son acte est « une agression sexuelle commise avec violence ». Par ce geste, il prend avantage de la situation, de l’amour maternel indéfectible qui porte Olga à l’abnégation de soi-même.

En considérant ce qui précède, il devient malaisé d’établir la part de responsabilité d’Olga dans l’événement. À quel moment exactement glisse-t-elle de l’horreur vers la fascination puis la jouissance anticipée et le plaisir ? En tant que mère elle se sent  coupable de ne pas avoir érigé la limite infranchissable pour son fils :

Si elle n’avait pas deviné le secret de ce marquage au crayon orange, elle serait certainement intervenue le lendemain soir lorsqu’elle surprit de nouveau ce très jeune homme, fragile et aux mouvements de danseur, qui virevolta près du fourneau.

Le jeu de cet inconnu répéta avec la fidélité d’une hallucination la scène déjà vue : une rapide palpitation de sa main au-dessus du récipient en cuivre, une volte-face vers la table, vers le cahier prétexte, une seconde d’immobilité, une nonchalance exagérée des doigts qui feuilletaient les pages…

Oui en remarquant cette voltige de mouvements à travers la porte entrouverte de la salle de bains, elle l’aurait interrompu par un cri de blâme, un rappel à l’ordre. Non, plutôt par quelques paroles insignifiantes, pour lui éviter la honte.

Elle resterait muette. Et pourtant la ressemblance avec le soir de septembre, le soir du jardinage, fut totale. À une nuance près peut-être : cette fois, elle ne mit qu’un instant à reconnaître en ce jeune inconnu son fils. Oui, un instant, le temps d’étouffer le cri sur ses lèvres, de le transformer en paroles anodines et, enfin, en silence. Mais surtout, cette fois, il n’y eut plus de doute [56].

Ce qui l’incite au silence sont les marques de crayon orange dans l’encyclopédie médicale. Elles lui signalent la lecture de son fils, sa connaissance de la maladie qui le ronge. Et la maladie, l’hémophilie, rend Olga protectrice au superlatif. D’autre part, elle se sent coupable d’avoir accepté, puis joui de la transgression de l’adolescent, de l’avoir attendue, recherchée peut-être :

Elle savait qu’il viendrait cette nuit-là. Tout l’annonçait. Dans la cuisine, elle vit un léger reflet blanc sur la surface brune de l’infusion, la vida dans l’évier, s’en alla. En revenant dans la chambre, elle hésita une seconde, puis poussa un autre éclat de branche au fond du poêle [57].

Wais et Gallé précisent que dans «  l’abus sexuel ce n’est pas la violence qui est prioritaire mais le fait que des hommes ou des femmes construisent une relation avec leurs victimes, une relation de confiance » [58]. Le fils d’Olga, comme nous l’avons signalé plus haut, a pu s’épargner cette peine. Toutefois, ce n’est que sur la base de cette confiance que la relation peut être exploitée, et l’abus sexuel prendre place. Dans une situation incestueuse, les femmes peuvent être coupables tout autant que les hommes : « Les femmes ne sont pas seulement victimes, elles peuvent aussi être violeuses » [59]. Cependant, le sentiment de culpabilité d’Olga est tout autre : « Plus tard, il lui arriverait de tressaillir à la pensée qu’en le surprenant elle aurait pu être découverte elle-même par lui entre les rideaux légèrement écartés sur la fenêtre de la cuisine… » [60]. Sa culpabilité rétrospective concerne l’embarras que son fils aurait alors certainement éprouvé à être découvert. Olga s’identifie à son fils. Dans l’identification à un autre être humain, Mélanie Klein avance qu’il s’agit de :

[l’]un des éléments des plus importants dans les relations humaines en général. C’est aussi une condition pour aimer vraiment et intensément. Si nous sommes capables de nous identifier à la personne aimée, nous ne pouvons que négliger ou, dans une certaine mesure, sacrifier nos propres sentiments et nos désirs aussi, pendant quelque temps, faire passer en premier les intérêts et les émotions de l’autre [61].

Olga sacrifie ses propres sentiments, elle les sacrifie à son fils, certaine de faire le bien de celui-ci, de lui faire don d’amour :

C’est ce soir-là, ou le suivant peut-être, qu’une pensée la blessa par sa vérité douloureuse et belle. Si ce qu’ils vivaient pouvait se dire l’amour, alors c’était un amour absolu car frappé d’un interdit inviolable et pourtant violé, un amour vu par le seul regard de Dieu car monstrueusement inconcevable pour les hommes, un amour vécu comme l’éternel premier instant d’une autre vie… [62].

Toutefois, Olga se donne et prend simultanément. Comme nous l’avons décrit, elle attend son fils et jouit de sa venue. Bien que sujette à un sentiment de honte, elle rejette la culpabilité de sa situation incestueuse sur son mari absent et n’endosse pas la responsabilité de son acte. D’un autre côté, il semble indéniable qu’elle est, en tout premier lieu, la victime de l’adolescent : l’initiative factuelle venant de lui.

Après avoir noté plusieurs aspects et manifestations de la relation d’Olga et de son fils, nous allons tenter de déceler les rapports entre la prise de conscience d’Olga et de son entourage : la présence du phénomène de synchronicité.

Dans Synchronicité et Paracelsica, Jung donne la parole à Schopenhauer pour expliquer le phénomène de synchronisme:

Il existerait entre tous les événements de la vie d’un être humain deux sortes de relations, radicalement différentes : d’abord la connexion objective, causale du cours naturel des choses ; ensuite, une connexion subjective qui n’existe que par rapport à l’individu qui vit ces événements, aussi subjective que ses propres rêves… Or, que ces deux sortes de connexions existent simultanément ; que le même événement, étant le maillon de deux chaînes tout à fait différentes, ne s’en insère pas moins avec précision dans l’une et l’autre, de sorte que chaque fois le destin de l’un s’accorde au destin de l’autre et que chacun est le héros de son propre drame mais en même temps aussi le figurant dans celui d’autrui [63].

Dans ce paragraphe, bien qu’écrit sur un autre sujet, se retrouve en résumé toute la structure du roman. Olga, l’héroïne, est aussi la figurante principale du drame de son fils. Ce qu’elle vit est connecté à certaines des expériences de celui-ci : son activité sexuelle nocturne. C’est toutefois par son point de vue que nous découvrons leur situation alors que l’adolescent n’apparaît qu’en filigrane. Nous ne savons rien de ses pensées ou de ses émotions ou de ses sentiments, si ce n’est par ce qu’en dévoile Olga.

Après avoir démontré et expliqué un grand nombre d’expériences menées à bien par Rhine sur la perception extrasensorielle qui donnent la « preuve décisive d’une connexion acausale entre certains événements » [64], Jung conclue qu’elles suggèrent « une relativité psychique du temps, car elles portent sur la perception d’événements qui n’ont pas encore eu lieu » [65]. Selon le raisonnement de Jung, le corps possède la même relativité que celle de l’espace et du temps. Il présente la synchronicité comme « une relativité de l’espace et du temps, placée sous la détermination du psychisme » [66]. De là, « Toute modification profonde de l’attitude mentale est le signe d’un renouveau psychique qui s’accompagne en règle presque générale de renaissance apparaissant dans les rêves ou les produits de l’imagination » [67].

Le concept de synchronicité tel que Jung l’a défini et tel que nous l’employons est donc différent du concept de « synchronisme » décrit par Schopenhauer et qui ne désigne que la simultanéité des événements. Au contraire, synchronicité est « la coïncidence temporelle de deux ou plusieurs événements sans lien causal et chargé d’un sens identique et analogue » [68]. Par définition, « le phénomène de synchronicité ne peut, par principe, être mis en rapport avec aucune représentation de nature causale. La connexion de facteurs coïncidents liés par le sens ne peut donc, nécessairement, être pensée que comme acausale » [69]. Voilà pour le phénomène en soi. Jung récapitule ainsi son concept :

Le phénomène de synchronicité se compose donc de deux éléments 1. une image inconsciente vient à la conscience, de manière directe (littérale) ou indirecte (symbolique) par la voie du rêve, de l’inspiration soudaine ou du pressentiment. 2. avec le contenu psychique vient coïncider un fait objectif [70].

Après avoir défini ce concept tel que nous l’employons, nous allons en rechercher la présence dans la diégèse.

Nous avons constaté que l’esprit d’Olga est envahi par un monstre gluant, gorgé de sang qui l’empêche de penser. Alors qu’elle regarde sa tisane, les pétales trop longtemps infusés, devenus bruns, ressemblent à la peau d’un animal : « Les fleurs trop longtemps macérées avaient bruni et ressemblaient, sous une fine couche de liquide, à la peau humide d’une bête recroquevillée » [71]. Similaire à l’animal qui déchire le cerveau de l’héroïne, qui n’est autre que ses pensées maladives. Causées par le refus, la peur et la conscience de l’inceste, elles sont comme un serpent lové. Toute la symbolique sexuelle du serpent s’épanouie dans l’image.

Pendant que l’infusion droguée refroidit, Olga nettoie le plancher de la cuisine. Les heures sonnent dans le lointain. Dans ce fragment, la description de son geste métaphorise son désir de purifier sa conscience. Olga essaie d’effacer le temps inexorable, illustré par le son des cloches au loin, en lavant le sol. Le temps annoncé en synchronicité avec son travail manuel qu’elle utilise pour s’empêcher de penser, de comprendre.

Alors qu’elle se refuse à admettre la possibilité de l’inceste, Olga feuillette l’encyclopédie médicale. Elle  tombe sur la gravure du serpent : « Un boa constricteur attaquant une antilope » [72]. Le boa lentement étouffe l’antilope. L’image correspond à la sensation éprouvée par Olga. Son esprit est étouffé par des pensées qu’elle veut faire refluer aux confins inabordables de sa conscience. Il ne s’agit pas de n’importe quel serpent mais d’un boa constricteur qui broie sa victime dans ses anneaux pour la dévorer. Ce serpent est la métaphore des pensées d’Olga ; l’antilope la représente à ses propres yeux. Olga se voit en tant que victime de l’inceste.

La seconde fois où l’image apparaît devant ses yeux, elle a accepté la réalité de l’inceste. Elle va dans la pièce aux livres, cherche fébrilement dans l’encyclopédie. La gravure est encore là : « Un boa constricteur attaquant une antilope ». La légende est toujours la même. Seule sa perception de l’image s’est modifiée : « Un corps luisant, couvert d’arabesques étranglait sa victime » [73]. L’étranglement est substitué à l’attaque :

La gravure, d’un réalisme pointilleux, produisait un effet inattendu comme tout excès de zèle. Car même si l’on voyait les moindres touffes de poil sur le pelage tacheté de l’antilope, son aspect rappelait un être vaguement humain : l’expression de ses yeux, la position du corps entouré des anneaux du gigantesque serpent. Quant au boa, son tronc musclé, couvert d’arabesques et prodigieusement gros, ressemblait à une épaisse cuisse de femme, une jambe ronde, indécemment pleine et tendue d’un bas orné de dessins… [74].

Le détail important pour notre étude réside dans la ressemblance du boa avec une cuisse de femme. Le sentiment de culpabilité qu’éprouve Olga à ne pas avoir interdit son corps à son fils, à avoir accepter l’interdit, se matérialise dans son interprétation de l’image. Le boa qui étouffe l’antilope s’apparente à une cuisse de femme. Implicitement, sa contemplation de l’image est l’aveu de sa responsabilité. Elle étouffe son fils par vouloir trop le protéger. Elle aurait dû répondre à son attaque par une semonce. Elle a laissé passer l’occasion de le faire.

Cette image de l’encyclopédie coïncide avec son image mentale, la similitude des pétales avec une peau humide. Cette image mentale correspond à l’élément 1. nécessaire au phénomène de synchronicité. Elle apparaît alors qu’elle observe les pétales de houblons. La découverte de l’image de l’encyclopédie, représente l’élément 2. du phénomène de synchronicité. L’aspect de la peau du boa constricteur correspond à l’image de la peau humide dans la casserole. Ces deux facteurs sont liés par le sens mais, leur connexion est acausale. Le phénomène de synchronicité se révèle lors de l’observation de l’infusion et la consultation de l’encyclopédie.

Revenons à la vase déversée par le baquet rouillé devant Olga. Cet événement surgit au moment où l’inceste n’est plus une simple virtualité en son esprit, une éventualité plus ou moins plausible mais, une réalité irréfragable dont elle jouit. Ce magma boueux et nauséabond correspond à ses pensées  dont la viscosité l’empêtre dans son secret maudit. La vase, une eau mêlée de terre et de putréfaction symbolise sa vision de l’inceste. Une chose immonde dans son optique. Cette image réelle, observée à la bibliothèque, coïncide avec l’idée qu’elle se fait de sa situation. C’est le fait objectif de l’élément 2 de la synchronicité. Son appréhension en entendant le bruit de la roue à l’approche de la bibliothèque correspond à l’élément 1 ainsi qu’à sa situation incestueuse réelle. D’autre part, la vase est une sorte de pâte où l’eau mêlée à la terre a, comme le dit Bachelard, un rôle émollient et agglomérant : « Elle délie et elle lie » [75]. Cette pâte vaseuse est une métaphore de la liaison fatale à Olga qui la lie à son fils, tout en la déliant de soi-même et délie ses rapports avec le réel diégétique. De même, cette liaison l’empêtre, la lie graduellement à la folie. La vase, odeur pénétrante et pestilentielle, est aussi la métaphore du marasme où son esprit s’enfonce inéluctablement.

Nous avons mentionné plus haut le fragment des poissons emprisonnés dans la glace sous l’effet du gel. Or, cette scène se situe au moment où Olga pressent l’inéluctabilité de sa situation et ses implications mortifères. Dans ce cas aussi, une correspondance sans lien causal entre ses pensées et l’événement peut être observée. Son pressentiment traduit l’élément 1 du phénomène et l’emprisonnement des poissons est le fait objectif coïncident, l’élément 2.

Après cette brève analyse, la présence du phénomène de synchronicité apparaît dans quatre cas au long de la diégèse. En premier lieu, dans le cas des pétales et de l’image encyclopédique. Puis, dans la coïncidence entre la remontée de la vase et la vision d’Olga. Et encore, dans la découverte de la voie ferrée qui s’arrête à un butoir, métaphore d’une voie sans issue. En dernier lieu, dans le cas des poissons emprisonnés dans la glace et le sentiment de claustration, d’engeôlement par l’inceste ressenti par Olga. Dans les quatre cas, les facteurs sont liés par le sens, mais leur connexion est acausale, ce qui correspond à la définition du phénomène de synchronicité, tel que nous l’employons. Dans les autres situations, la lumière de la chambre, la neige souillée, le dégel, les événements relèvent d’un phénomène de simultanéité et du synchronisme.

Ce phénomène de synchronicité dont nous avons relevé la présence est utilisé par Makine comme structure d’esthétisation. L’esthétisation par le roman de la problématique de l’inceste permet la discussion par la prise de connaissance qu’elle engendre à la lecture du roman. De ce fait, la confrontation avec le phénomène n’est plus réservée au cercle restreint des pathologistes mais s’élargit à celui des lecteurs.

Ce qui est décrit est la souffrance de la victime. Olga, bien qu’elle omette d’ériger la barrière du refus de son corps à son fils dès qu’elle prend connaissance de ses agissements nocturnes, n’en reste pas moins la victime de celui-ci. N’oublions pas, qu’en premier lieu elle ignore tout de ses agissements. Sa réaction à la découverte est l’horreur. Son silence peut être défini comme coupable. Toutefois, ce qui importe est le lent processus d’aliénation qui l’emporte vers la folie, le lot qui échoit à la victime de l’inceste. En cela, le crime d’Olga se résume à un crime par omission. Elle reste muette après sa découverte au lieu de morigéner son fils.

Makine expose le rôle de l’adulte vis-à-vis de l’enfant. Il revient à l’adulte de guider celui-ci entre les pièges de l’adolescence et son éveil à la sexualité, faute de quoi la mort l’attend. Que celle-ci soit psychique, physique ou sociale ou tout à la fois, elle reste inéluctable. Que le fils soit l’initiateur s’avère sans importance véritable. Quelles que soient les raisons qui l’ont conduit à la transgression, elles s’avèrent sans valeur devant le silence de la mère. Elle a laissé se produire l’impensable sans réfléchir aux conséquences malgré les indices révélateurs. Elle a proféré le oui à la jouissance au lieu du non à l’interdit et de ce fait s’est précipitée dans l’abîme de la folie. L’amour absolu est le danger imparable qui masque les prémisses de la démence chez Olga. Elle doit tenir deux rôles simultanément : celui de mère et d’amante mais ne peut assumer entièrement ni l’un ni l’autre.

C’est le mérite de Makine d’avoir interverti la problématique de l’inceste. Ici, un fils abuse de sa mère. Il se sert de leur isolement et de la relation de confiance qui existe naturellement entre une mère et un fils. Ce qui est généralement imputé à l’adulte dans une relation incestueuse relève, dans la diégèse, du comportement de l’adolescent. C’est aussi le mérite de Makine d’avoir décrit et démontré les limites à ne pas franchir, qu’il importe à l’adulte, quelle que soit sa misère émotionnelle, de délimiter pour l’enfant dont il a la charge. C’est à l’adulte qu’incombe la responsabilité du bien-être psychique, moral et physique de l’enfant.

« Il n’existe pas de passion amoureuse sans la transgression d’un interdit » [76] déclare Alberoni. Toutefois, toute transgression d’un interdit, fût-il l’interdit majeur, n’entraîne pas nécessairement, loin s’en faut, la passion amoureuse. Dans la diégèse, la transgression de l’interdit par le fils entraîne la passion amoureuse de la mère. Ou serait-ce la passion amoureuse de la mère qui a incité la transgression par le fils ? Une question qui, bien qu’elle reste sans réponse, devait tout de même être posée.

Murielle Lucie Clément



[1] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998.

[2] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988.

[3] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981.

[4] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 9.

[5] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, 9.

[6] E. Durkheim, Jugements de valeur et jugements de réalité, Paris, Librairie Félix Alcan, 1930, cité par F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 10.

[7] voir au sujet de la fascination de l’horreur : J. Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, Paris, Seuil, 1980.

[8] M. Magre, L’Amour et la haine,Paris, Fasquelle Editeurs, 1934, p. 93.

[9] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 166.

[10] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 28.

[11] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 115.

[12] G. Lopez, Les Violences sexuelles sur les enfants, Paris, PUF, p. 29.

[13] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 31.

[14] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 216.

[15] P.-C. Racamier, Les Schizophrènes, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1980, p. 140.

[16] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 89.

[17] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 25.

[18] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 25, souligné dans le texte.

[19] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 25.

[20] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 27.

[21] E. Westermarck, Histoire du mariage, Paris, Payot, 1945, cité par J.-D. de Lannoy, p. 104, souligné dans le texte.

[22] E. Westermarck, Histoire du mariage, Paris, Payot, 1945, cité par J.-D. de Lannoy, p. 110, souligné dans le texte.

[23] R. Fox, Anthropologie de la parenté, Paris, Gallimard, 1972, cité par J.-D. de Lannoy, p. 156.

[24] J.-D. de Lannoy et P. Feyereisen, L’Inceste, un siècle d’interprétations, Paris, Delachaux et Niestlé, 1996, p. 21.

[25] J. G. Frazer, Les Origines de la famille et du clan, 1922, cité par J.-D. de Lannoy, p. 24.

[26] R. Fox, Anthropologie de la parenté, Paris, Gallimard, 1972, cité par J.-D. de Lannoy, p. 143.

[27] R. Fox, Anthropologie de la parenté, Paris, Gallimard, 1972, cité par J.-D. de Lannoy, p. 148.

[28] S. Freud, Totem et Tabou (1912), Paris, Payot, 2001.

[29] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 86.

[30] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 121.

[31] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 152.

[32] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 113.

[33] H. Parat, L’Inceste, Paris, 2004, PUF, p. 39.

[34] H. Parat, L’Inceste, Paris, 2004, PUF, p. 38.

[35] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 191.

[36] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 191.

[37] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 151.

[38] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 114-115.

[39] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 212.

[40] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 34.

[41] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 184.

[42] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 90.

[43] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 159.

[44] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 159.

[45] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 159.

[46] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 89.

[47] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, 2004, p. 89.

[48] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, p. 99.

[49] H. Parat, L’Inceste, Paris, PUF, p. 89.

[50] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 93.

[51] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 229.

[52] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 209.

[53] M. Wais et I. Gallé,  Alledaags misbruik, Ervaringen met slachtoffers, daders en ouders, Zeist, Uitgeverij Vrij Geestesleven, 1997, « Abus quotidiens, expériences avec des victimes, des coupables et des parents » vert. M.L. Clément.

[54] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 217-218.

[55] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 229.

[56] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 110-111.

[57] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 207.

[58] M. Wais et I. Gallé,  Alledaags misbruik, Ervaringen met slachtoffers, daders en ouders, Zeist, Uitgeverij Vrij Geestesleven, 1997, p. 63, « Op de voorgrond staat bij het misbruik echter niet de toepassing van openlijk geweld, maar veeleer het feit dat mannen evenaals vrouwen een relatie met hun slachtoffers opbouwen, een vertrouwensrelatie ». Traduction M.L. Clément.

[59] M. Wais et I. Gallé,  Alledaags misbruik, Ervaringen met slachtoffers, daders en ouders, Zeist, Uitgeverij Vrij Geestesleven, 1997, p. 59 « Vrouwen zijn niet slechts slachtoffers, maar kunnen ook verkrachters zijn ». Traduction M.L. Clément.

[60] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 87.

[61] M. Klein et J. Rivière, L’amour et la haine. Le besoin de réparation, Paris, PBP, 2001, traduit par A.Stronck, pp. 96-97.

[62] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 233.

[63] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 29.

[64] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 33.

[65] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 35, souligné dans le texte.

[66] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 37.

[67] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, pp. 40-41.

[68] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 43.

[69] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 47.

[70] C. G. Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 49.

[71] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 93.

[72] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, p. 93.

[73] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 267-268.

[74] A. Makine, Le Crime d’Olga Arbélina, Paris, Mercure de France, 1998, pp. 93-94.

[75] G. Bachelard, L’Eau et les Rêves (1942), José Corti, Paris, 1966, p. 142.

[76] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay, 1981, p. 25.